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Non organisation par Louis Simon


Non organisation

Liberté totale





Nous vivons dans un dispositif enchevêtré de traditions, d’observances, d’habitudes. Les hommes sont plongés dans les relations juridiques, soumis aux lois. Ils se sentent obligés de réagir selon les convenances. Il leur faut participer à ce qui se fait, au cérémonial. Leurs communautés sont enracinées dans des terroirs, ont adopté des plis héréditaires. Ils doivent accepter les responsabilités en rapport avec leur situation et leurs capacités. Ils doivent faire les gestes que l’on attend d’eux pour conserver confiance dans le train des “choses de la vie”. On leur demande leur avis, qu’il faut donner, et leurs conseils en faveur de l’œuvre commune.

On ne peut échapper entièrement aux obligations qui concourent au fonctionnement des groupes sociaux auxquels chacun, plus ou moins, est relié. Il lui faut suivre les modes réguliers d’organisation courante. Un consensus pacifique qui reste en partie naturel forme un jeu de bonnes relations. L’amabilité huile, si l’on peut dire, les services mutuels à se rendre. L’exception choque. On tient à ce qu’il n’y ait pas de privilégiés cherchant à se soustraire aux nécessités que tous ressentent et subissent.

De là à faire appel à un système coercitif, à des pouvoirs de police, des êtres nobles ne peuvent franchir ce pas. On défend le système de domination par des arguties qui ne tiennent pas devant la raison. Des artifices honteux n’osent avouer les véritables buts de maintenir un régime de faveurs contre la justice et l’équité, cela vaut en particulier pour les prétendues défenses des libertés, de l’ordre et surtout la “défense nationale”.

La violence armée doit être exclue des relations sociales. Ce recours extrême est passion et colère qui masque des sentiments sans valeur probante : recherche ambitieuse d’un renversement de pouvoirs, afin de prendre la place aux postes du gouvernail, afin de jouir d’un règne profitable.

Le ressentiment indigné des injustices justifie les révoltes mais non point les rétorsions et les violences réflexes à un état de fait. Elles aboutissent en réalité à détourner la justice même. Les revendications soutenues par l’esprit de vengeance amoindrissent le sentiment de l’humain. La force de résister à ces impulsions fait partie de la valeur d’humanité à quoi chacun doit accéder. Quel recours restera-t-il contre la violence régnante lorsqu’une violence prétendue “révolutionnaire” est admise ? Enfantillages dangereux et sanglants de gens dont le sens n’a pas mûri. On en sort défiguré, marqué par le signe bestial. L’accoutumance à la violence ferme à toute simplicité humaine. L’acte de brute dégénère en mentalité de brute.

Le pouvoir rend fou ceux qui l’acceptent et conduit inéluctablement aux excès. La violence ne se limite pas. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire ancienne et récente.

Il faut commencer par s’écarter, se refuser, s’abstenir avec énergie — les choses ici ne sont pas contradictoires — de toute tentation de vouloir arbitrairement résister à la violence par la violence, l’illusion mille fois recommencée. Résistons de façon profonde aux causes de détérioration des rapports entre les hommes. On devine que l’espoir d’un avenir pacifié prend racine dans l’écart de la loi et de l’organisation rigoureuse.

A qui réfléchit aux causes et aux conséquences, la non-organisation est l’épanouissement d’une société d’égaux fraternels. Elle est au bout des efforts pour un ordre librement élaboré, où chacun a son mot à dire, sa suggestion à présenter, son action propre à exercer. Elle se place hors des obligations et des sanctions qui renforcent les édits d’un petit nombre de dirigeurs : confusion d’un système clos à l’initiative.

C’est l’idéal des sages que ceux d’entre eux qui ont su le réaliser montre comme possible aux individus résolus. Il ne supprime pas la diversité des éclosions de caractères et d’œuvres. Il n’est nullement la négation de l’ordre même dans les travaux majeurs, dans le entreprises spécifiques. Il n’est pas le refus d’une répartition intelligente et sensible des tâches, mais l’acceptation des disciplines limitées aux buts précis de la reconnaissance des compétences tel ou tel travail à effectuer dans l’accord. On n’échappe pas à la solidarité. Ne confondons pas le refus d’obéir aux ordres arbitraires avec un individualisme fermé et hostile aux autres.

Il est difficile de grouper des êtres en un concert équilibré. Il faut soi-même s’être rendu digne, avoir accompli sa propre évolution. Avant de s’engager dans une œuvre d’ensemble, il est indispensable de s’être fait, de s’être poli à ses réactions intimes. L’ardeur pour aider à construire une œuvre collective enrichit chacun de ceux qui y concourent du fruit de l’expérience et de l’échange des connaissances. “Travail des peuples” admirablement chanté par Han Ryner dans sa “Tour des peuples”.

Le virus de l’organisation artificielle est remplacé par la vie d’un organisme qui résulte de l’attention à ne plus se laisser déborder par la matière de la machinerie.

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Non-organisation veut dire : ni directeurs, ni hiérarchie, ni contrôles soupçonneux et règlements avec sanction à l’appui, ni appareil qui punisse la non-observance des édits.

L’homme au service du maître dépend du bon plaisir, esclave et marchandise. La vente d’une force de travail matérielle est une épreuve de force, un faux contrat. Toute entreprise organisée selon un mode qui n’a pas été préalablement discuté, selon un contrat imposé unilatéralement, est viciée par l’inégalité entre contractants.

Aucun libellé, d’ailleurs, ne peut prévoir les cas de vie et de mouvement, entraîner d’avance des volontés. Quelle casuistique peut embrasser les cas qui surviennent sans précédents ? Jamais la réalité ne retrouve les mêmes conditions, fut-ce dans l’hypothèse de précédents. Les individus sont autres, et l’œuvre différente. On table sur des moyennes, sur des approximations variables. On ne peut définir ce qui va “se passer”, ni les réactions des gens en rapports. Le recours aux arbitres lui-même ne peut être automatisé. Il est lourd et contestable souvent. Il entraîne l’action.

Les faiseurs de lois travaillent dans une logique abstraite. Les codes permettent les ruses et les détours. Ils sont mauvais par la confiance qu’on leur confère. Ils engendrent les procès où le bon droit est rarement reconnu, permettent de jouer au plus fin, de retarder et d’endormir les revendications. Ils sont une arme aux mains des habiles et des valets du pouvoir. Perte de temps et d’énergie pour ceux qui s’obligent à les suivre.

Alors, comment s’entendre ? Comment se défendre. Ne faut-il pas “dire la justice” ? Mais est-elle universellement possible ? La critique en a été solidement faite. Par hasard, telles lois apaisent par l’attente les esprits impatient et les caractères emportés, les retiennent de s’affronter en désordres et en guerres intestines. C’est leur utilité précaire qui ne balance pas les inconvénients de s’en remettre aux décisions de “justice”.

La raison ne s’impose que par raisons explicatives, non par dogmes enseignés dans une littéralité absurde. Il faut admettre les raisons des autres, les examiner, les peser. Ce n’est pas là travail de forum.

Les fanatiques ont reçu la révélation d’une vérité que nous savons aléatoire, et n’en veulent pas démordre. Dans les conflits d’humeurs chacun possède une doctrine à faire reconnaître. Dans les choses matérielles, l’expérience réussie prouve.

Nierai-je la connaissance acquise dans des matières où nul ne peut prétendre à une intelligence des phénomènes et des choses ? La méthode que nous invoquons me semble toute scientifique. La science se garde de décréter des absolus.

Nierai-je la qualification de l’artiste qui a pénétré aux bases de son art, du technicien qui envisage les aspects où se présentent les faits qu’il a à maîtriser, du travailleur qui a éprouvé les matières et les machines où il applique son effort ?

Nul, en ces domaines pratiques ou théoriques, n’est universel. La variété des tâches possibles, leur complexité, dépasse l’esprit et la puissance d’un particulier. Il faut s’en remettre à ceux qui peuvent exécuter. Ce n’est nullement soumission aveugle. Chacun, s’il n’est pas toujours capable d’embrasser les théories et les moyens, s’en rapporte, au moins en attente, à ceux qui les ont édifiés. Cela va dans la vie d’un organisme souple, multiple, non fermé sur lui-même.

Je pense que les esprits peuvent se mettre d’accord sur pas mal des points où j’attire l’attention. Tout être raisonnable a déjà fait choix.

Le grand mot de sagesse face au social est “non-organisation”. Elle ne peut être posée en absolu présent. Sa conception prépare la délivrance des hommes du joug légal. Ils sentiront, peu à peu, la montée du progrès véritable, la réalisation de l’homme en eux et autour d’eux.

Tout n’est pas donné. Il faut lutter, contre soi et contre les choses, s’adapter à elles, à la nature, à sa nature propre. Les “lendemains qui chantent” sont au bout d’un long effort de chaque jour, de la satisfaction de l’œuvre accomplie chaque jour. Rêve chrétien, rêve bouddhiste, rêve humaniste et socialiste. Rien qui ne dépende intimement de nous.

Pourquoi se priver de belles formules ? “Le salut est en vous” a dit le grand Tolstoï. Peut-on l’oublier ? C’est lui aussi qui, après d’autres, avec d’autres, a propagé l’idée-mère : Non-Organisation.



Louis SIMON.




19/08/2008
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