aNaRkiSs

Ce que sont les individualistes anarchistes

Editions de l'anarchie

CE QUE SONT LES INDIVIDUALISTES ANARCHISTES
&
LA LIBERTE INDIVIDUELLE

par
Benjamin R. TUCKER

traduction de
Émile ARMAND


CE QUE SONT LES INDIVIDUALISTES ANARCHISTES

          Les conséquences économiques qui découlent de l'abolition des quatre grands monopoles qui tiennent les travail sous leur joug (le monopole monétaire et bancaire, le monopole foncier, le monopole douanier, le monopole des brevets) et leur remplacement par la libre concurrence, conduisirent ceux qui préconisaient cette abolition ¾les pères de l'anarchisme individualiste : l'américain Warren et le français  Proudhon  ¾ à se rendre compte que leur conception reposait toute entière sur un principe fondamental : la liberté de l'individu, autrement dit : son droit de souveraineté sur lui-même, ses produits, ses affaires et son droit de révolte contre toute intervention de l'autorité extérieure.

          De même que l'idée d'enlever le capital à ceux qui le détiennent pour le remettre au gouvernement avait engagé Marx dans un sentier qui aboutissait à faire de l'Etat tout et de l'individu rien, de même, disons-nous, l'idée d'enlever le capital aux monopoles protégés par l'Etat et de le mettre facilement à la portée de tous, engagèrent ces deux théoriciens sur une voie qui aboutissaient à faire de l'individu tout et de l'Etat rien. Si l'individu possède le droit de se gouverner lui-même, tout gouvernement extérieur constitue une tyrannie. De là la nécessité d'abolir l'Etat. Telle fut la conception logique à laquelle furent acculés Warren et Proudhon, et elle devint la pierre angulaire de leur philosophie politique. Telle est la doctrine que Proudhon appela an-archisme, un mot qui provient du grec et qui ne signifie pas nécessairement absence d'ordre, comme on le suppose généralement, mais bien absence de réglementation.

          Les anarchistes croient, comme Jefferson, que "le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins" et que celui qui gouverne le moins n'est plus du tout un gouvernement." Ils refusent même aux gouvernement maintenus par une contribution forcée la simple fonction de protéger la personne et la propriété. Ils considèrent ce genre de protection comme une chose à se procurer aussi longtemps que cela sera nécessaire, par l'association volontaire et la coopération en vue de la défense personnelle; ou encore comme une utilité à acheter, comme les autres utilités, à ceux qui offrent le meilleur article au plus bas prix. A leur point de vue, c'est empiéter sur l'individu que de l'obliger à payer ou à subir une protection qu'il n'a point demandé ou ne désire pas. Ils prétendent que la protection finira par devenir sans valeur aucune, dès que, par la réalisation de leur programme économique, la pauvreté et par suite le crime auront disparu.

          La contribution obligatoire leur apparaît comme le principe vital de tous les monopoles et ils considèrent, lorsque le moment sera venu, la résistance passive, mais organisé, au percepteur, comme l'une des méthodes les plus efficaces pour accomplir leur dessein. Leur attitude à cet égard donne la clef de leur attitude à l'égard de toutes les autres questions d'un caractère social ou politique. En religion, ils sont athées, car ils considèrent que l'autorité divine et la sanction morale religieuse sont les principaux prétextes invoqués par les classes privilégiées pour l'exercice de l'autorité humaine. "Si Dieu existe", dit Proudhon, "il est l'ennemi de l'homme."

          Et, en réponse au fameux épigramme de Voltaire : "Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer", le grand nihiliste russe, Michel Bakounine, a formulé cette proposition antithétique : "Si Dieu existait, il faudrait l'abolir." Mais tout en voyant dans la hiérarchie divine une contradiction de l'anarchie, tout en étant des incroyants, les anarchistes ne sont pas moins fermement en faveur de la liberté de croire. Ils s'opposent fermement à toute négation de la liberté religieuse.
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          Proclamant ainsi le droit de tout individu d'être ou de choisir son propre prêtre, ils revendiquent de même son droit d'être ou de choisir son propre médecin. Pas de monopole en théologie, pas de monopole en médecine. La concurrence toujours et partout; que les conseils spirituels ou médicaux réussissent ou échouent selon leurs mérites ou leur efficacité ! Et non seulement dans le domaine de la médecine, mais dans celui de l'hygiène il faut que ce principe règne. C'est à l'individu de décider par lui-même non seulement de ce qu'il doit faire pour se bien porter, mais encore pour continuer à demeurer en bonne santé. Nulle puissance extérieure ne saurait lui dicter ce qu'il doit ou ne doit pas manger, boire, porter ou accomplir.
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          Le concept anarchiste ne fournit pas non plus de code moral à imposer à l'individu. "Mêle-toi de tes affaires", tel est l'unique règle morale qu'il propose. Intervenir dans les affaires d'autrui est un crime ¾ et comme tel, on doit lui résister comme il convient. Selon ce point de vue, les anarchistes considèrent comme des crimes les tentatives de supprimer arbitrairement le vice. ILs croient que la liberté et le bien-être social qui en résulte est le sûr remède pour tous les vices, mais ils reconnaissent à l'ivrogne, au joueur, au débauché et à la prostituée le droit de choisir leurs vies, jusqu'à ce qu'ils aient librement choisi d'y renoncer. Concernant l'entretien et l'éducation des enfants, les anarchistes ne sont pas plus partisans de la "nursery" communiste, préconisée par les socialistes étatistes que du système scolaire communiste qui prévaut actuellement. Comme le docteur et le prédicateur, c'est volontairement que doit être choisis la nourrice ou l'instituteur et c'est par ceux qui y ont recours qu'ils doivent être rémunérés. Les droits des parents ne doivent pas plus être abolis que leurs responsabilités attribuées à autrui.

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          Même dans un domaine aussi délicat que celui des relations sexuelles, les anarchistes ne s'écartent pas de leur règle de conduite. Ils reconnaissent et réclament pour tous hommes ou femmes, le droit de s'aimer pour une période aussi longue ou courte qu'ils le peuvent ou veulent. Le mariage légal et le divorce légal leur sont d'égales absurdités. Ils aspirent à une époque où chaque individu, homme ou femme, se subviendra à soi-même; où chacun, ¾ homme ou femme ¾possèdera un home à soi; que ce soit une maison séparée ou un logement à part; où les relations amoureuses seront aussi variées que le sont les inclinaisons et les attractions individuelles; où les enfants nés de ces relations appartiendront exclusivement à leurs mères jusqu'à ce qu'ils soient en âge de s'appartenir à eux-mêmes. Tels sont les principaux traits de l'idéal social des anarchistes.

          Parmi ceux qui s'y rallient diffèrent considérablement les opinions quant aux moyens d'y parvenir. Je veux simplement faire remarquer que c'est un idéal qui est absolument différent de celui de ces communistes qui s'intitulent faussement anarchistes, tout en préconisant un régime archiste aussi pleinement despotique que celui des socialistes d'Etat. C'est un idéal que fera aussi peu progresser l'expropriation forcée recommandée par John Most et le prince Kropotkine, que rétrograder les juges qui les envoient en prison; c'est un idéal que les martyrs de Chicago aidèrent, jadis, davantage par leur mort glorieuse que durant leur vie par leur misérable propagande, au nom de l'anarchisme, de la force comme un agent de la révolution et de l'autorité comme sauvegarde d'un nouvel ordre social. Les anarchistes croient à la liberté comme fin et comme moyen et ils se montrent résolument hostiles à quoi que ce soit qui s'y oppose.

Benjamin R.TUCKER
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LA LIBERTE INDIVIDUELLE

Signification du mot "anarchie"

          Le mot "anarchie" ne signifie pas simplement opposé à l'archos ou chef politique. Il signifie opposé à arché. Arché, en premier lieu, se traduit par "commencement", "origine". Il a acquis, par la suite, une seconde signification, celle de "premier principe", "élément" ¾ plus tard : "première place", "pouvoir suprême", "souveraineté", "puissance", "commandement", "autorité" ¾  finalement : une "souveraineté", un "empire", un "royaume", une "magistrature", une "fonction gouvernementale". Étymologiquement, le mot anarchie peut avoir plusieurs sens, celui par exemple de sens principe directeur, sens auquel je n'ai jamais objecté, m'efforçant toujours, au contraire, d'interpréter selon leur définition, la pensée de ceux qui s'en servent ainsi. Mais le mot Anarchie, en tant que terme philosophique, et le mot Anarchiste, en tant que nom d'une secte philosophique furent d'abord utilisés dans le sens d'opposition à domination, à autorité; ils conservent ce sens de par "le droit du premier occupant", de sorte que toute signification philosophique autre qu'on en voudrait donner, est inexacte et confuse.

 Anarchie et christianisme

          Une société niant toute autorité différerait autant d'une société affirmant l'autorité du Christ que le blanc diffère du noir. Le self-gouvernement est incompatible avec le gouvernement par la loi "tu aimeras le Seigneur ton Dieu", par la raison que cette loi implique l'existence de Dieu et que Dieu et l'homme sont ennemis.
          Dieu, pour être Dieu, doit être un pouvoir qui gouverne. Son gouvernement ne peut pas être exercé directement par l'individu, pour l'individu, au moyen de l'individu; sinon, il annihilerait entièrement l'individualité. Pour être exercé, le gouvernement de Dieu doit l'être sur terre par ses vice-rois reconnus : les dignitaires de l'Eglise et de l'Etat. Et il est inutile de faire ressortir à quel point cette hiérarchie diffère de l'anarchie.

Anarchie et démocratie

          On a défini la démocratie comme le principe que "un homme est aussi bon qu'un autre, sinon un peu meilleur." On peut définir l'Anarchie comme le principe qu'un gouvernement est aussi mauvais qu'un autre, sinon pire.

Anarchisme et contrat

          Quand je dis que l'association volontaire implique nécessairement le droit de retrait, je ne nie pas le droit à des individus quelconques de passer un contrat d'association par lequel chaque associé renonce au droit de résiliation. Ce que j'ai voulu affirmer, simplement, c'est qu'un tel contrat, si quelqu'un était assez naïf pour le passer, ne serait qu'une formule que tout associé raisonnable se hâterait de violer ou de fouler aux pieds aussitôt qu'il aurait compris l'énormité de sa folie.

          Le contrat est un instrument d'une grande utilité, un outil très avantageux, mais son utilité a des limites : personne ne peut l'employer pour l'abdication de sa personnalité. Renoncer indéfiniment à son droit de résiliation est se rendre esclave. Or, nul ne peut se rendre esclave au point de renoncer au droit de publier sa propre proclamation d'émancipation. L'individualité et son droit à l'affirmation sont indescriptibles, sinon par la mort. Tout signataire donc de pareil contrat qui deviendrait par la suite anarchiste, se trouve pleinement justifié en usant de tous les moyens à sa disposition pour se protéger des tentatives qu'on ferait pour le contraindre, en invoquant un contrat ou une constitution de ce genre.

          Je n'ai jamais dit que "c'était le devoir de chacun de rompre tous les contrats aussitôt qu'on était convaincu qu'ils avaient été conçus sottement." Ce que j'ai dit, c'est que si quelqu'un signait un contrat le privant de sa liberté à tout jamais, il le violerait aussitôt qu'ils s'apercevrait de l'énormité de sa folie. Car si je crois qu'il vaut mieux rompre que tenir certaines promesses, il ne s'ensuit pas que je crois qu'il est toujours sage de rompre une folle promesse.

          Au contraire, je considère l'accomplissement des promesses comme tellement important que je n'approuve leur violation que dans des cas d'extrême nécessité. Il est d'une importance tellement vitale que les associés puissent compter les uns sur les autres qu'il vaut mieux ne jamais rien faire qui puisse ébranler cette confiance, sauf en cas où elle ne pourrait être maintenue qu'au détriment de quelque considération de la plus grande importance encore.
Le bulletin de vote

          Au fait, qu'est-ce que le bulletin de vote ? Ni plus ni moins qu'un morceau de papier représentant la baïonnette, la matraque, la mitrailleuse. C'est un expédient permettant de se rendre compte, sans perte de temps, de quel côté se trouve la force et de se soumettre à l'inévitable. La voix de la majorité évite l'effusion de sang, mais elle est tout autant une expression de violence que le décret le plus absolu des tyrans, étayé par la plus puissante des armées.

          On peut prétendre, naturellement, que la lutte en vue d'obtenir la majorité implique emploie accidentel d'influences intellectuelles et morales. Mais ces influences s'exerceraient encore plus puissamment dans d'autres directions si le vote n'existait pas. Quand on les emploie comme des auxiliaires électoraux, elles représentent simplement un effort pour hâter la venue du moment où la force physique pourra lui être substituée. La raison qui se consacre à la politique combat pour sa propre déconfiture, car, dès que la minorité devient majorité, elle cesse de raisonner et de persuader, elle se met à commander, à obliger, à punir.

L'anarchie et la violence

          L'idée que l'Anarchie peut être instaurée par la violence est aussi fallacieuse que l'idée qu'elle peut être maintenue par la force. La violence ne peut pas conserver l'Anarchie; elle ne peut pas lui donner naissance. Au fait, l'une des conséquences inévitables de l'emploi de la force est de retarder l'Anarchie.

          La seule chose que la force puisse faire pour nous, c'est de nous sauver de l'extinction, c'est de nous accorder un bail de vie plus étendu, au cours duquel nous pourrons essayer de réaliser l'Anarchisme par les seules méthodes possibles. Mais cet avantage est toujours acheté à un prix immense, et sa réussite est accompagnée, toujours, d'un risque effroyable. L'essai ne saurait en être fait que lorsque les risques des autres moyens sont plus grands.

          Quand un médecin s'aperçoit que les forces de son malade déclinent rapidement ¾ à cause de l'intensité de ses souffrances ¾ qu'il mourra d'épuisement avant que son remède ait eu la chance d'opérer ¾ il administre un narcotique. Mais un bon médecin répugne toujours à ce moyen, car il sait que l'une des influences d'un narcotique c'est d'interrompre, sinon détruire, l'efficacité du remède. Il ne s'en sert jamais qu'à titre de moindre mal. Il en est de même qu'en à l'emploi de la force comme guérison de la société malade, que ce soit l'Etat ou la foule qui s'en serve. Non seulement ceux qui prescrivent l'emploi irraisonné de la force comme un remède souverain et un tonique permanent, mais encore tous ceux qui le proposent comme remède ou qui y auraient recours futilement et sans nécessités non à titre de remède, mais à titre d'expédient ¾ tous ceux-là sont des charlatans sociaux.

La coopération obligatoire

          "La coopération obligatoire est-elle jamais désirable ?" ¾ La coopération obligatoire n'est qu'une forme d'attentat à la liberté d'autrui et les coopérateurs ne sont pas plus justifiés d'y recourir que de recourir à n'importe quelle autre forme de violence.

Loi fondamentale de l'entente sociale

          L'Anarchisme considère la plus grande somme de liberté compatible avec l'égalité de liberté comme la loi fondamentale de l'entente sociale; presque tous les anarchistes considèrent le travail comme la seule base du droit de propriété en harmonie avec ladite loi.

Benjamin R. TUCKER
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LES IDEES INDIVIDUALISTES
DE BENJAMIN R. TUCKER (1854-1939)

par le Dr. H. HERSCOVICI.

          Tucker était un anarchiste audacieux, un philosophe et un adversaire inconciliable de l'Etat. N'ayant trouvé ni ordre ni assise dans le monde et se rendant compte combien le destin de l'homme est inique, intolérable et écrasant, et entendant monter vers lui le cri de la douleur humaine, il se jette à corps perdu dans la mêlée des conflits et des problèmes sociaux. Il se rendait compte que le principe de ce monde n'est pas toujours la raison, mais plutôt la raison composant avec l'arbitraire, issu de violence est toujours légitimée contre un passé. En somme, un monde où rien d'absurde qui ne puisse être formulé ni de raisonnable qui ne puisse être contesté.

          Contrairement à Stephen T. Byington, communiste, Tucker n'attribue pas nos maux à notre indigence ¾ dans le régime du salariat et de la propriété privée ¾ à la mentalité défectueuse des hommes. Mais alors que pour Mackay la liberté anarchiste se caractérise par l'absence de toute violence et de toute contrainte, pour Tucker, une action de violence est toujours légitimée contre un agresseur quel qu'il soit. Mais Tucker n'est pas pour cela partisan de l'emploi de la violence systématique, d'après lui il ne faudrait en user qu'après avoir épuisé tous les moyens d'actions pacifiques.

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          Dégagé des mensonges des idoles et des fausses valeurs, il se donne la mission de réveiller la conscience humaine, pour la rendre solidaire de ce qu'il dénonce et de ce qu'il approuve. Sa parole est la mesure même de la pensée sincère et généreuse et son travail est un travail de sape contre l'adversité de l'univers. L'anarchiste, écrit-il, ne demande pas la liberté comme un bien qu'on lui a prit, mais comme un bien qu'on l'empêche d'acquérir. Si d'aucuns font de la liberté un dogme, les anarchistes en font un but.

          Pour les premiers, l'homme naît libre, la société le rendant esclave, pour les seconds, l'homme naît en complète dépendance et dans la servitude. La civilisation réelle est seule susceptible de le mener sur le chemin de la liberté. "Mais la violence ne peut pas conserver l'anarchie; elle ne peut pas non plus lui donner naissance.

          La seule chose que la force puisse faire pour nous, c'est de nous sauver de l'extinction, c'est de nous accorder un bail de vie plus étendu, au cours duquel nous pourrons essayer de réaliser l'anarchisme par les seules méthodes possibles. Ce n'est que lorsqu'on sera absolument garrotté  qu'il faudra user des moyens extrêmes, car il ne faut jamais l'oublier "la résistance passive est l'arme la plus puissante que l'homme est jamais maniée dans la lutte contre la tyrannie." Ce n'est plus demain qu'il faut conquérir le meilleur, la vérité et la justice, mais c'est aujourd'hui même.

          Si la force défensive est un aspect du principe de liberté, l'Etat repose sur la violence et comme l'essence de la violence est l'agression, l'Etat ne peut être qu'un corps agressif. L'indépendance économique est la première chose que réclame l'anarchiste. Il veut avant tout la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme. Cette exploitation deviendra impossible le jour où chacun pourra librement et sans frais se procurer les moyens nécessaires à l'échange des produits du travail, le jour où le crédit sera gratuit, organisé sur le principe de la mutualité, le jour où le marché sera libre et ne connaîtra plus aucune entrave à l'échange d'individu à individu ou de pays à pays; le jour où le sol sera libre et laissé à la disposition de quiconque voudra l'utiliser sans qu'un autre puisse le revendiquer pour lui-même.

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          D'ailleurs, la libre concurrence n'implique pas nécessairement le retour à l'artisanat : c'est la méthode la plus économique de production qui prévaudra. Le malaise social, sous sa forme actuel, ne se serait jamais produit si dès les premiers jours de la révolution industrielle, parfaite liberté avait existé dans le mécanisme des avances du capital au travail. A la place de l'Etat, il faudrait, d'après Tucker, fonder une "association libre d'individus qui voudraient conclure un contrat." Le contrat est un instrument d'une grande utilité, un outil très avantageux, mais son utilité à des limites, personne ne peut l'employer par l'abdication de sa personnalité. Nul ne pouvant se rendre esclave au point de renoncer au droit de publier sa propre proclamation d'émancipation.

          "L'abolition de la société, écrit Tucker, ce n'est pas à quoi tendent ni même ce que désirent les anarchistes." Les libertaires ne peuvent ignorer que la vie en société est étroitement liée à celle de l'individu et qu'on ne pourrait détruire l'une sans tuer l'autre. Seulement ils refusent de reconnaître les privilèges des castes dominantes et ils revendiquent l'égalité et la liberté. Mais vivre en société ne devrait pas signifier disposer d'une minorité contre sa volonté. Puisque l'être humain est la source et le fondement de l'humanité, la puissance d'une minorité énergique et éclairée, réalisant un cinquième de la population, si elle refusait de payer l'impôt, consacrerait le début d'une grande révolution mondiale. Il ne faut pas contester, par ailleurs, la valeur de la solution rationnelle de l'association du travail intellectuel et du travail manuel, menés de front; le développement graduel d'une éducation technique d'ordre général.

          Tucker n'a jamais cru à une solution satisfaisante, du fait d'un prétendu évolutionnisme historique, ni à la théorie déterministe, aboutissant à l'harmonie dernière qui, malheureusement, pourrait bien être "préfacée" par un bombardement atomique. C'est que l'individualiste anarchiste considère qu'il ne nous est pas donné de prévoir comment ou quand l'humanité pourra parvenir à un quelconque but déterminé par l'évolution. Quant au socialisme marxiste, Tucker pense que s'il devait se réaliser universellement, ce serait plutôt  grâce à sa puissance militaire et non par les motifs du "déterminisme économique." Les tentatives vers une plus juste conception des sociétés humaines n'ont pas abouti, et en vérité, c'est parce que les formes ataviques primitives n'ont cessé, en dépit des apparences, de dominer sans cesse l'histoire du monde.

          L'erreur du communisme étant précisément d'attribuer le malaise social actuel à la liberté illimitée de passer contrats, alors qu'il néglige le fait que dans la branche la plus importante des relations humaines ¾ la méthode de diffusion de la confiance entre les individus ¾ l'Etat et intervenu violemment durant des siècles avec des résultats désastreux pour l'équité et la prospérité sociale. Ainsi que le remarque Meulen, en superposant l'hypocrisie à la violence, ils n'ont su créer réellement aucune moralité supérieure, aucun sentiment de la dignité humaine, dans un monde où la priorité va constamment à l'économique.

          Alors que pour Stirner, rien n'est au-dessus du Moi, pour Tucker, l'unique forme de propriété qui satisfasse à des conditions normales (équilibre entre la liberté de produire et celle de garder), c'est la propriété basée sur le travail. Bien entendu, il s'agirait d'une propriété privée où chacun serait possesseur de ses moyens de production et deviendrait propriétaire du produit intégral de son travail. L'essentiel pour Stirner serait que l'individu sache préserver son bien individuel ou collectif.

          Tucker prétendait donc que Stirner n'a jamais complètement nié l'Etat ni la société, mais simplement insisté sur ce point : que l'Etat existe pour l'individu et non l'individu pour l'Etat et que lorsque l'Etat use de contrainte à l'égard de l'individu, l'individu a le droit de se rebeller.



          D'autre part, Tucker pense, à l'instar de Jefferson, que "le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins" parce que si l'individu possède le droit de se gouverner lui-même, tout gouvernement extérieur selon Proudhon constitue une tyrannie. De là, la nécessité d'abolir l'Etat. Par conséquent, c'est à l'individu de décider par lui-même non seulement de ce qu'il doit faire pour se bien porter, mais pour continuer à demeurer en bonne santé. Les concepts anarchistes n'ont pas à fournir un code moral à imposer à l'individu. ILs ne veulent pas non plus supprimer arbitrairement le vice. Parce que la liberté et surtout le bien-être social sont un sûr remède à tous les vices."

          L'anarchisme de Tucker reconnaît et réclame pour tous les hommes et les femmes de s'aimer pour une période aussi longue ou courte qu'ils peuvent ou veulent accepter. Ainsi il aspire à une époque où chaque individu, homme ou femme, se subviendra à soi-même. La liberté devenant fin et moyen. Philosophe anarchiste, Tucker pense que l'état de choses actuel ne peut être d'aucune façon une conséquence de l'anarchie, l'anarchie dans le sens philosophique du mot n'a jamais existé. L'anarchie signifiant quelque chose de plus que la possession de la liberté.

          Une société idéale ne supporterait point qu'aucun de ces membres fut sacrifié, mais ce n'est pas seulement d'après des cas isolés, c'est d'après la moyenne des situations faites au plus grand nombre que l'on peut juger équitablement de la valeur humaniste d'une société donnée. Tout comme Ruskin définissait la richesse comme la possession de ce qui a de la valeur, l'anarchisme pour Tucker peut se définir comme la possession de la liberté par les libertaires, c'est-à-dire par ceux qui savent ce qu'il faut entendre par la liberté. Il n'y a pas d'autre moyen pour améliorer les institutions d'un peuple que d'éclairer l'entendement du citoyen.

          Et quiconque s'efforce d'asseoir l'autorité d'une opinion, non par la raison, mais par la force, peut avoir de bonnes intentions; il n'en est pas moins la cause d'un tort immense porté à ceux qu'il prétend servir. Bref, selon Tucker, la personnalité individualiste se dresse contre toutes les formes de contrainte, répudie la violence, l'acte révolutionnaire classique faisant trop souvent partie des moyens de réaliser des buts étroitement politiques. Et là, Tucker est largement tributaire des idées de Josiah Warren dont le primer ouvrage intitulé "Equitable Commerce" vit le jour en 1846. La méthode que préconisait Warren pour obtenir ces "résultats harmoniques"  sans recourir au communisme consistait en un "nouveau développement des principes" qui devaient se réaliser en se substituant aux lois et aux gouvernements, principes basés sur la "souveraineté de l'individu". Tucker insiste sur le fait que la source empoisonnée c'est la structure de l'Etat.

          Et le problème social ne pourra être résolu ni par le mensonge conservateur, ni par le renversement révolutionnaire tant que la source reste empoisonnée. Toute la théorie sociale de Benjamin R. Tucker pourrait se résumer en une expérience de quarante-sept ans, qui proclame la refonte de la structure sociale dans un sens opposé au marxisme, avec le souci d'aboutir à des résultats franchement plus harmonieux sans sacrifier la liberté individuelle. Tucker pensait souvent à cette société de demain, sans esclaves, sans martyrs et sans bourreaux, une société de paix et de travail.
           Il y rattachait ses espoirs, sûr et certain que la vie arriverait à triompher de toutes les iniquités qui emprisonnent le monde, à triompher du lourd fardeau de servitude et d'ignorance, de tous les héritages maléfiques, afin de construire un univers à la mesure de l'avenir humain.

Dr. H. HERSCOVICI.


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BENJAMIN R. TUCKER ET LIBERTY

          J'ai lu avec une très grande attention les pages que, dans le cahier de Défense de l'Homme (1),  notre ami le Dr Herscovici a consacrées à Benjamin R. Tucker. C'est que je connais bien Tucker, tant pour l'avoir rencontré, que pour avoir correspondu et discuté avec lui ¾ non seulement avec lui, mais avec quelques-uns de ses collaborateurs les plus proches, tels Joseph A. Labadie, Clarence Lee Swartz et autres.

          Il est impossible de séparer Tucker de son journal Liberty (publié d'abord à Boston, ensuite à New York), en lequel, 27 ans durant, sans détours ni faux-fuyants, il développa sa pensée, polémiqua, tint ses lecteurs au courant de son évolution, ce qui l'amena à se séparer de plusieurs de ses collaborateurs pour en recruter de nouveaux.    

          Il y présenta, proposa et défendit pendant à peu près trente ans les thèses et les revendications de l'individualisme anarchiste, tels qu'il les concevait et s'en était fait le propagandiste. Je possède une bonne partie de la collection de Liberty que je viens non de relire, mais de parcourir, ce qui est déjà tout un travail. Cette rapide revue achevée, je comprends que James L. Martin ait pu écrire (dans son récent ouvrage Men against the State) que jamais périodique ne comportera autant d'intérêt et ne réunit aussi brillante équipe de collaborateurs (relativement aux Etats-Unis et à l'époque).

          Liberty n'eut pas de successeur : en effet, pour évoquer tous les problèmes auxquels cette feuille s'attaqua, en proposer la solution, il fallait un animateur de premier ordre, doué d'une puissance de travail peu commune, prêt à la riposte quand on l'attaquait ou qu'on donnait à ses déclarations un autre sens que leur signification réelle. Or Tucker réunissait toutes ces conditions. Nous ne saurions nous occuper, dans le présent article, de la très importante place que l'économie politique tenait dans l'activité de Tucker : cela nous entraînerait beaucoup trop loin.
          Nous nous bornerons à esquisser ce que fut l'oeuvre de Liberty, abstraction faite de cette partie de la tâche entreprise par ce journal. Certes, Tucker était un redoutable polémiste, mais il ne s'en prenait pas à la vie privée de ses antagonistes (il est toujours resté fidèle au principe de la non-intervention dans les affaires d'autrui, cet acte constituant pour lui, comme on sait, le crime par excellence, le crime auquel il importait de résister avec la dernière énergie, que l'auteur de l'immixtion fût une personne, une organisation privée ou l'Etat, personnifié par l'un de ses agents.)

          De là des campagnes qui ne sont que l'aboutissement logique de cette attitude : campagnes contre la prohibition de la vente ou de l'achat des boissons alcoolisées, l'interdiction de jouer aux courses ou ailleurs, de participer aux loteries, etc., les entraves à la circulation ou à l'offre au public d'ouvrages prétendus obscènes et ainsi de suite. On retrouvera toujours dans les écrits des tuckeriens, sous une forme ou une autre (les droits naturels étant exclus) les propositions suivantes : "Droit de souveraineté sur soi-même, ses produits, ses affaires, et droit de révolte contre toute intervention de l'autorité extérieure (donc de l'Etat et des ses représentants.) Remplacement de la force, de l'imposition, dans les rapports inter-individuels, par le contrat  base de l'association volontaire. Répudiation de la violence comme manifestation soi-disant anarchiste."

          Certaines déductions résultent de ces principes, par exemple : "Le but de la liberté, concentré en son essence ultime, est l'abolition de l'autorité ¾ l'église et l'Etat sont un monstre à deux têtes... mais le socialisme de Karl Marx est le plus dangereux, parce qu'il est le plus autoritaire de tous ¾ la lutte à mener en notre siècle est la lutte contre l'Etat. La Société n'est pas une personne ou une chose, mais une relation; or, une relation ne saurait avoir de droits : la société se composant d'individus, seuls les individus possèdent des droits."

          Telles seront les différentes thèses proposées, examinées, diffusées, controversées, critiquées dans Liberty. Mais Tucker n'était pas qu'un polémiste ou un théoricien. Il était un logicien sans compromissions. Revenons aux campagnes dont il prit l'initiative. En 1875, bien avant que parût le premier numéro de Liberty, il avait refusé de payer la taxe personnelle, d'où une condamnation et une incarcération à la maison d'arrêt de Worcester (Massachusetts). On le mit bientôt à la porte de cette résidence hospitalière, un inconnu (qui l'est toujours demeuré) ayant payé la taxe en question, à la grande irritation du libéré malgré lui, parait-il.

          C'est cette logique qui le conduisit en 1882 à défier les autorités de ce même état de Massachusetts  lorsqu'elles interdirent la publication in-extenso et la vente de "Leaves of Grass" de Walt Whitman.  Il leur répondit en faisant paraître une édition non-expurgée de cette oeuvre, qualifiée bien entendu de pornographique. Les autorités ne bougèrent pas. Whitman déclara souvent qu'il n'oublierait jamais l'intrépidité de Tucker "à un moment où les actes de courage étaient rares." Cette même logique qui le faisait s'élever contre l'instruction obligatoire, contre l'ingérence de l'Etat dans les écoles, contre le paiement des taxes communales relatives à la viabilité, à la construction des égouts, à l'adduction des eaux, au combat contre les incendies, au maintien du bon ordre.

          Tout cela, énonçait-il, est du ressort d'associations volontaires, créées par la nécessité : ni l'Etat ni aucune organisation administrative n'a à s'en mêler. C'est ainsi que nous le verrons s'insurger contre la loi refusant l'admission des émigrants chinois sur le territoire des Etats-Unis ou la lecture obligatoire de la bible dans les écoles ¾ prendre la défense des Mormons et revendiquer le droit à s'octroyer les institutions sociales qui leur plaisaient ¾ protester, lui l'anti-socialiste, contre les poursuites dont fut l'objet Eugène Debs, leader socialiste américain bien connu de ce temps-là ¾ ridiculiser la décision prise par le maître de poste général (le ministre des P.T.T. américain) d'interdire le transport, par voie postale, de la "Sonate à Kreutzer". Il n'hésitera pas à prendre à partie le puissant Anthony Comstock, l'inspirateur d'une ou de plusieurs Ligues pour la suppression du vice qui prospèrent de l'autre côté de la mare aux harengs. C'est grâce aux efforts de ce personnage obsédé que fut refusée, aux Etat-Unis, l'entrée d'ouvrages tels que Tom Jones, le Pantagruel de Rabelais, Les Mille et Une Nuits, le Décaméron de Boccace, l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, les Confessions de J.J. Rousseau, l'Art d'aimer d'Ovide, les Contes drolatiques  de Balzac.

          Nous manquons des renseignements indiquant si l'importation d'un ou plusieurs de ces livres est ou non autorisée aujourd'hui ! Revenons maintenant à Liberty et à son contenu. Je découvre nombre de titres d'articles suggestifs, par des collaborateurs divers, pouvant donner lieu à des débats parfois prolongés, par exemple : "Tu ne commettras pas l'adultère : pourquoi pas ? ¾ Une suite d'études sur "Amour, Mariage et Divorce" ¾ "Les altruistes bâtissent dans l'air" ¾ "Les moralistes sont nécessairement des collectivistes" ¾ Voici une remarque sur l'association volontaire des non-monogames qui ne saurait être confondue avec la promiscuité ou le communisme sexuel (ce qui a toujours été le point de vue de l'en-dehors).

          Tucker, d'ailleurs, n'a jamais dissimulé sa préférence pour l'amour plural. ¾Je m'arrête un instant sur le développement de la thèse bien connut qui postule que l'enfant soit regardé comme une production de la mère, lui appartenant, comme ses autres produits, jusqu'à ce qu'il soit en âge de passer contrat. Cette thèse qui n'admettait aucune intervention extérieure dans les rapports entre mère et enfant (sauf délégation du pouvoir maternel à un tiers, le père par exemple) provoquera de vives discutions de la part de ceux des individualistes qui soutenaient que l'enfant s'appartient à lui-même et réclamaient pour lui le droit de s'enquérir et faire partie d'un autre milieu familial s'il se sentait malheureux dans celui où la nature l'avait placé.  
 
          Tucker ayant fait la connaissance de John Henry Mackay,  poète et écrivain allemand de talent, qui fit sortir de l'ombre l'oeuvre presque oubliée (négligée en tous cas) de Max Stirner,  L'Unique et sa Propriété, le "stirnérisme" conquit une place prépondérante dans les colonnes de "Liberty", éloignant plusieurs de ses collaborateurs d'antan. L'altruisme fut exorcisé, liberté et égoïsme devinrent synonymes, anarchisme philosophique rendu analogue à anarchisme "égoïstique", à égoïsme philosophique...  Table rase est faite de toute idée d'obligation ou de sanction, sauf en cas de contrat (1) d'entente mutuelle aux fins d'associations volontaire, celle-ci ne poursuivant comme but que le bien-être, la satisfaction des désirs des co-associés.  

           Tandis que Liberty insère les pages extraits de Nietzsche, rendons-nous compte de sa situation philosophique : "Les anarchistes ne sont pas seulement des utilitaires, mais des égoïstes dans le sens le plus large et le plus absolu du terme." ¾"Le principe de base de l'existence en société consiste en ce que l'individu soit laissé entièrement et absolument libre de régler sa vie selon que l'incitent à le faire ses contacts expérimentaux avec d'autres individus également libres."

          "La vertu n'est vertu que parce qu'elle produit le contentement, le bonheur; le vice n'est vice que parce qu'il engendre le mécontentement, la souffrance. En somme, nul n'est capable de déterminer ce qui est avantageux ou désavantageux pour autrui, tandis que chacun sait mieux que quiconque ce que peut lui procurer le bonheur." ¾ "C'est pourquoi toute action doit être considérée par son auteur par rapport à ce qu'elle lui procure de bonheur et non par rapport à ce qu'elle peut produire  de satisfaction chez autrui. Et cela s'applique même, et forcément, à ces actes qualifiés altruistes, lesquels procurent indirectement du plaisir à ceux qui les accomplissent alors que sur le moment ils semblent leur causer de la souffrance, cette souffrance étant compensée par la joie qu'ils éprouvent à savoir que quelqu'un a profité de leur geste, foncièrement égoïste en définitive."

          Liberty nous remémore que Tucker ne fut pas seulement un penseur, un auteur, l'animateur d'un mouvement dont les traces sont loin d'être effacées, mais un traducteur infatigable, grâce à sa connaissance parfaite du français. Voici la liste à peu près complète des ouvrages auxquels il s'intéressa  suffisamment pour les traduire en anglais : "Qu'est-ce que la propriété" de Proudhon, "Un ennemi du peuple" d'Isben, "Le chiffonnier de Paris" de Félix Pyat, "Mon oncle Benjamin" de Claude Tillier, "L'argent" de Zola (sans compter une foule d'articles ou de récits.)

          Il attachait beaucoup d'importance à des oeuvres comme le Chiffonnier de Paris qui n'ont pas résisté aux attaques du temps. En 1907, il édita la traduction que Stephen T. Byington fit en anglais de "L'unique et sa Propriété". En 1888, il avait tenté de publier un réplique de Liberty en allemand : Libertas, destinée aux nombreux émigrants de source allemande qui résidaient aux Etats-Unis; cette tentative ne put dépasser le 8e numéro.

          Comment, imposant silence à son aversion pour la guerre, le service militaire, les chauvins et les bellicistes, Tucker a-t-il pu, lors de la première guerre mondiale, se ranger (mais sans éclat) du côté des alliés ?) Il s'en est expliqué dans une lettre adressée à Laurence Labadie, insérée dans Instead of a Magazine du 15 septembre 1915 : par amour pour la France qu'à cause des séjours qu'il y faisait, il considérait comme sa seconde patrie; par admiration pour la loyale Angleterre; par pitié pour la Belgique, par souci pour l'Avenir de l'Amérique; par sympathie pour le peuple russe ?

          Parce qu'il n'apercevait plus en les Allemands qu'une nation de brutes déchaînées, ayant pour dessein de transformer le monde en un paradis régenté par la police sur le modèle de la Prusse ?... La guerre terminée, il revint vite sur ses illusions et nous reprîmes nos relations.
           Mais il avait beaucoup perdu de son esprit de combativité (2). Impressionné par les "Scènes de la vie future" de G. Duhamel, il assignait encore à notre civilisation un siècle ou deux d'existence, mais une décade pouvait suffire à en amener la fin : "le monstre Machinisme dévore le genre humain !" (Joseph Ishill, Free Vistas, 11, 300-301.) Une anecdote pour finir : il nourrissait une antipathie profonde pour la linotype. (Une légende que je crois fantaisiste veut que Tucker n'ait jamais utilisé l'auto.)

Emile ARMAND.




(1) Tucker se montrait personnellement très méticuleux quant à l'observation des clauses  des contrats qu'il pouvait passer avec autrui et vice-versa.
(2) En 1922 il avait pris fait et cause pour Vanzetti (New Bedford Standard).


Nor does the anarchistic scheme furnisf any code of morals to be imposed upon the individual. "Mind your own business is its only moral law."
(Le concept anarchiste ne fournit pas non plus de code moral à imposer à l'individu. "Occupe-toi de tes propres affaires" est son unique loi morale)
Benjamin R. Tucker, in Instead of a Book, p. 15.


Cette brochure a été réalisée en septembre 2000.
Elle est disponible  à prix libre ou contre un échange.
No copyright + No profit . Libre possibilité de la photocopier et de la diffuser .



05/11/2008
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