aNaRkiSs

Autopsie de la Bible



Éditions de L’ANARCHIE

AUTOPSIE DE LA BIBLE

QU’EST-CE QUE LA BIBLE ?
LA CONCURRENCE DES BIBLES
LES HERESIES
ORIGINE ET SIGNIFICATION DES ECRITURES
LES HERETIQUES ET LES INTERPRETATIONS BIBLIQUES
LES CONTRADICTIONS, LES ANOMALIES ET LES MONSTRUOSITES DE LA BIBLE
LA CROYANCE AUX MIRACLES

par
Louis DORLET

AVERTISSEMENT

          Depuis un certain nombre d’années, l’apologétique biblique triomphe et les “Écritures” dites sacrées ont même fait une irruption inattendue dans le monde “matérialiste”, par la voie des bandes dessinées et du cinéma.

          Cependant, en dépit de ces versions maquillées et présentées par les Églises, personne ne sait exactement ce qu’est ce fameux livre que le prosélytisme de deux cent cinquante sectes a répandu d’une manière prodigieuse dans tous les pays du globe.

          Face à l’apologétique religieuse, beaucoup d’hommes, qui ne fréquentent pas les temples, estiment que ces questions sont depuis longtemps dépassées et ne méritent plus aucune attention.

          Sur la fin du siècle dernier (Ndlr : 19ème) Littré, déjà, écrivait dans la revue “La Philosophie Positive” (T. 22, p. 368) : “Dans le temps où je publiais la traduction de la “Vie de Jésus” de M. le docteur Strauss, on m’objecta, au point de vue libre-penseur et révolutionnaire, que j’entreprenais là une oeuvre parfaitement inutile et depuis longtemps dépassée, et que notre XVIIIème siècle avait fait, mieux que tous les Strauss du monde, l’œuvre de démolition qui importait...”

          Encore bien moins qu’au temps de Littré, pourrait-on parler de la démolition des orthodoxies; nonobstant quelques bourrasques, les anciennes se portent bien et les nouvelles qui ont fait leur apparition menacent de les dépasser en autoritarisme et en intolérance.

          Il est donc nécessaire d’en revenir à la critique des religions, non pas pour satisfaire un dérisoire anticléricalisme, mais pour démontrer ce qu’il y eut de pitoyablement humain, de tragique et de ridicule, dans ces luttes provoquées par un sentiment religieux qui courbe les hommes et leur masque les réalités les plus simples. D’autres Bibles peuvent naître, avec leurs infaillibles prophéties. Même si elles proposent quelque “déité matérialiste”, elles risquent fort de procéder du même esprit religieux, de ces mêmes principes à l’infaillibilité proclamée. Je crois qu’il est salutaire, pour l’avenir, que nous nous mettions à étudier sérieusement, et dans toutes leurs manifestations, les errements et les aberrations du passé. Ceci a l’ambition de contribuer, trop modestement hélas; à cette tâche importante.


Louis Dorlet.



QU’EST-CE QUE LA BIBLE ?          

          Le mot Bible, utilisé pour désigner l’ensemble des “livres saints” des juifs et des chrétiens,, est d’un usage relativement récent. Étymologiquement, on disait d’abord : “Les livres” (la biblia). C’est ce pluriel grec, transcrit en caractère latins, qui fut pris au Moyen âge pour un féminin singulier et donna naissance à ce fameux terme générique, la Bible. Les juifs et les premiers chrétiens, quand ils parlaient de leurs livres sacrés, disaient “l’Écriture” ou les “Écritures”.

          Les écritures juives, contenant le prétendu Traité d’Alliance entre Dieu et les hommes, étaient aussi désignées sous ce nom d’Alliance, nom qui fut adopté également, au deuxième siècle, par les chrétiens pour désigner leurs Écritures. A partir de cette époque, il y eut donc à distinguer deux “Alliances” ou deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, l’un et l’autre devant fournir, au cours des siècles, une riche matière aux interprétations les plus diverses, voire les plus opposées.


          La plupart des livres de l’Ancien Testament ont été rédigés en hébreu. Quelques-uns pourtant auraient été écrits en araméen ou en grec. Tous les livres du nouveau Testament ont été rédigées en grec. Au IIIème siècle avant notre ère, Ptolémée Philadelphe aurait fait commencer la traduction en grec des livres sacrés des juifs, pour l’usage des juifs d’Égypte. C’est cette version qui porte le nom de “Septante’, à cause du nombre des traducteurs mis à l’œuvre par le grand prêtre Eléazar. On citait une lettre d’Aristée, fonctionnaire de Ptolémée II d’Égypte, pour éclairer cette fumeuse histoire de la version des Septante, mais la lettre a été reconnue apocryphe.

          Au IIème siècle Aquila de Sinope prétendit apporter une oeuvre définitive en traduisant l’ancien Testament d’hébreu en grec. Bossuet prétend que cette version a été faite exprès pour contredire celle des Septante, dont les églises se servaient. Justinien en défendit la lecture aux juifs. Au IVème siècle, saint Jérôme allait, à son tour, écrire l’œuvre “définitive” en produisant, à partir de l’hébreu, une version latine de l’Écriture qui fut déclarée authentique, sous le nom de “Vulgate”, par l’Église catholique. Cette version prétend réunir les deux Testaments. Selon Érasme qui a publié lui-même une édition grecque et latine du Nouveau Testament, cette fameuse Vulgate ne pourrait être confrontée sans dommage avec certains manuscrits grecs qui passent pour reproduire fidèlement les textes originaux.

          La Bible hébraïque est composée de 22 livres répartis en trois parties : 1° La Loi (Thora), en 5 livres (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome), 2° Les prophètes (Nebiim) antérieurs : Josué, Juges, Samuel (I et II), et postérieurs : Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie (les douze derniers constituant un livre), 3° Les Hagiographes (Ketoubim) : Psaumes, Proverbes, Job, Cantiques des cantiques, Ruth, Lamentations de Jérémie, Ecclésiaste, Esther, Daniel, Esdras, Néhémie, Paralipomènes, ou Chroniques I et II.

          La version des Septante offre plus de volumes que la Bible hébraïque. Elle comporte en plus : Tobie, Judith, la Sagesse de Salomon, l’Ecclésiastique, quatre livres des Macchabées, le 3° livre d’Esdras, les derniers chapitres d’Esther et quelques textes supplémentaires ajoutés à Daniel, au Cantique des Trois Enfants, à Suzanne, Bel et le Dragon. La Vulgate latine renferme à peu près les mêmes livres que la version des Septante, mais elle ne reproduit que deux livres des Macchabées et rejette le 3° livre d’Esdras (1) Pour l’Église catholique, c’est la Vulgate qui fait autorité et qui représente les livres saints dans leur intégralité.

          Les juifs, eux, ont donné le nom d’apocryphes aux livres qui n’existaient que dans la Bible grecque. Les sectes protestantes ont fait de même; la plupart d’entre elles ne reconnaissaient comme “sacrés” que les seuls livres de la bible hébraïque. Entre les textes hébreu et les textes grec et latin de la Bible, il existait souvent d’importantes différences qui allaient être encore accentuées par les innombrables érudits qui devaient s’employer à épurer le sens des fameuses Écritures.

          La troisième traduction “importante” de la Bible au IIème siècle, en Grec, fut celle de Théodosien, qui fut disciple du fameux Marcion, défenseur des deux principes : l’un bon, l’autre mauvais, qui avait écrit des “Antithèses”, pour faire remarquer certaines contradictions flagrantes entre l’ancien et le nouveau Testament. Le quatrième des interprètes de l’ancien Testament, en langue grecque, fut Symmaque, un juif qui s’était fait chrétien, mais qui devait embrasser “l’erreur” des Ébionites. Ebion était une sorte de philosophe stoïcien qui affirmait que le “Sauveur” était un “pur homme” né par le concours ordinaire des deux sexes. Les Ébionites ne connaissaient point d’autre Évangile que celui de saint Matthieu. Ils rejetaient le reste de la “Loi” et surtout les Épîtres de saint Paul qu’ils considéraient comme un apostat.

          Au IIIème siècle, le célèbre Origène publia côte à côte les versions d’Aquila, de Symmaque et de Théodosien, avec les Septante et le texte hébreu. Origène était un exégète remarquable, mais il était imbu des principes platoniciens. Il fut condamné par plusieurs conciles et signalé par le pape Léon II comme “théomaque” (ennemi de Dieu) Au IIème siècle, il y eut aussi une importante traduction syriaque de la Bible, la “Peschitta” (simple) Il y eut ensuite des versions arméniennes, arabes, coptes, éthiopiennes qui naturellement avaient l’originalité de ne pas se ressembler. La même originalité devait distinguer les innombrables versions qui allaient se succéder à une cadence rare, dès que le hollandais Laurent Coster eut imaginé ses caractères d’imprimerie. La première édition complète de la Bible hébraïque sortit en 1488. Daniel Bomberg, célèbre imprimeur né à Anvers et établi à Venise, se fit rapidement un nom par ses éditions hébraïques de la Bible et les oeuvres des rabbins. Il entretenait près d’une centaine de juifs lettrés pour les corriger ou les traduire.

          La première Bible dite Bible Prœnni, du nom de son éditeur, parut en 1517, la seconde, très différente, en 1526. On y joignit les points des Massorètes, les Commentaires de divins rabbins et une préface de Jacob Ben Chajim, rabbin qui fit, lui aussi, imprimer une Bible chez Bomberg, en 1548, avec des commentaires de David Kimchi, juif espagnol, qui a publié, au XIIIème siècle, des textes souvent utilisés par les Biblistes. La version des Septante parut d’abord dans la polyglotte d’Alcala, en 1518 et, la même année, dans l’édition d’Alde Manuce, à Venise. Entre 1587 et 1590, par ordre de Sixte V, on publia une nouvelle version latine de la Bible (3 parties en un volume in-folio) Les fautes de cette édition étaient si nombreuses et si  évidentes que Clément VII fut obligé d’en faire, en 1592, une nouvelle édition corrigée (2)

          La Vulgate, elle, fut imprimée la première. La première édition, sans date, parut à Mayence entre 1452 et 1456. Jean Faust, de Mayence, publia, en 1462, une bible qui est aujourd’hui très recherchée des amateurs de raretés typographiques. Le texte de la Vulgate qui, longtemps, fit seul autorité dans l’Église catholique, était celui qui fut publié en 1592 par le pape Clément VIII. Mais, en 1907, le pape Pie X chargeait une équipe de bénédictins de préparer une nouvelle édition de la Vulgate, plus conforme à l’esprit du temps. Toute une immense Kyrielle de traducteurs, d’interprètes et de commentateurs animés par cette foi qui soulève les montagnes, avait donc peiné, sué sang et eau, pour aboutir à ce lamentable fiasco : personne n’a jamais réussi à mettre noir sur blanc une version claire, et surtout non contradictoire, de cet extraordinaire pot-pourri, mélange extravagant d’ordures et de joyaux que l’on tient obstinément à présenter comme l’émanation d’un Tout Puissant démiurge.

LA CONCURRENCE DES BIBLES

          Nous citerons un certain nombre de versions “authentiques” de la Bible parues, outre celles déjà citées, depuis l’invention de l’imprimerie. Au XVIème siècle, le fameux imprimeur Plantin d’Anvers publia une version de la Bible qui fit quelque bruit parce qu’on racontait qu’elle avait été imprimée avec des caractères d’argent. La Bible polyglotte publiée par Ximenès de Cisneros à Alcala, en 1517, eut une grande réputation, rédigée en six volumes et quatre langues, elle comporte un texte hébreu, la version grecque des Septante, la version latine de saint Jérôme appelée Vulgate et la paraphrase chaldaïque d’Onkelos seulement sur les cinq livres de Moïse. On y travailla pendant plus de douze ans.

          Robert Etienne, le premier qui ait imprimé les Bibles distinguées par versets, publia, en 1545, une édition de la Bible de Léon de Juda, prêtre de Germoren, avec des notes de Vatable, professeur de langue hébraïque. L’imprimeur fut accusé d’avoir altéré ces notes qui furent condamnées par la faculté de théologie de Paris. L’inquisition  d’Espagne ordonna aux théologiens de les purger de ce qui sentait l’hérésie, et permit qu’ainsi corrigées on les publiât en 1584. Robert Etienne les défendit vigoureusement contre les théologiens de Paris.

          Une édition de la Bible de Léon de Juda fut publiée à Zurich, en 1543, par Théodore Bibliander, professeur de théologie qui devait mourir de la peste en 1564. Sébastien Castalion publia une version latine française, à Bâle, en 1556. On lui reprocha de lui avoir donné un tour entièrement profane et il fut vivement critiqué par les catholiques et les protestants. On lui reprocha aussi d’avoir embrassé les sentiments sur la polygamie de Bernardin Ochin qui, après avoir été général de l’ordre des Capucins, écrivit des satires cinglantes contre la Cour de Rome et contre les dogmes catholiques. En 1533, Abraham Usque et Tobie Athias publièrent une Bible en langue espagnole, ainsi présentée : “Bible en langue espagnole traduite mot à mot de la vérité hébraïque, par d’excellentes lettrés, Ferrare 1533.”

          La Bible Latine de Gryphus (1550), en 3 volumes, était un chef-d'œuvre... de typographie. On fit aussi grand cas des Bibles hébraïques publiées par cet imprimeur venu de Souabe pour s’installer à Lyon. Une traduction calviniste a été faite en espagnol par Cassidiore Reyna, sur les originaux, en 1569, et imprimée à Bâle. Elle devint rapidement si rare que Gaffarel, bibliothécaire du cardinal de Richelieu, la vendit pour la Bibliothèque du roi de France en la faisant passer pour une ancienne Bible des juifs.

          En 1556, le savant orientaliste Jean Alberti, dit Widmanstadius, de Widmanstat, lieu de sa naissance, publiait un “Nouveau Testament” en syriaque, à l’usage des Jacobites. Il a supprimé comme suspectes la 2ème épître de saint Pierre, la 2ème et la 3ème de saint Jean, celle de st Jude et l’Apocalypse. Le dominicain Jean Henten fit imprimer la première Bible nommée de Louvain, en 1547 (et Anvers 1570) On ignore généralement que la faculté de théologie l’avait chargé de ce travail par ordre de Charles Quint, qui désirait que la Bible soit corrigée et retrouve la pureté de l’ancien texte (?) Cette pureté ne fut sans doute pas atteinte, car les Bibles “authentiques” continuèrent à naître de plus belle.

          Au début du XVIIème siècle, Pierre Frizon, docteur en Sorbonne et grand maître du collège de Navarre, crut pourtant faire un coup de maître en rééditant la fameuse “Bible de Louvain” avec les moyens de discerner les Bibles françaises catholiques d’avec les hérétiques (1621) Baluze, qui fut secrétaire de Colbert, et qui écrivit une “Vie de Papes d’Avignon” mise à l’index par un décret du 22 décembre 1700, dévoila, dans un écrit intitulé “l’anti-Frizonus”, les magistrales bévues de maître Pierre Frizon qui perdit beaucoup de sa superbe. Corneille Bertram, professeur d’hébreu à Genève, puis à Lausanne, se chargea d’une révision de la Bible française de Genève d’après le texte hébreu (Genève 1588) Las ! On lui reprocha d’avoir trop suivi l’autorité des rabbins.

          On ne saurait oublier la fameuse Bible de Luther. La meilleure édition de la traduction allemande étant celle qui fut publiée avec des notes de Paul Toussaint, à Heidelberg, en 1617. A propos de Luther, le Vatican prétendait jadis conserver dans sa bibliothèque en exemplaire de la Bible, à la fin duquel se trouvait une prière en vers allemands, écrite de la main du célèbre “hérésiarque”, qui signifiait ceci : “Mon Dieu, par votre bonté, pourvoyez-nous d’habits, de chapeaux, de capotes et de manteaux, de veaux bien gras, de cabris, de bœufs, de moutons et de génisses; de beaucoup de femmes et de peu d’enfants. Bien boire et manger est le vrai moyen de ne point s‘ennuyer...” Cette prière était peut-être de Luther, bien que Misson, l’érudit auteur du “Nouveau voyage en Italie” ait affirmé qu’elle lui est faussement attribué; elle aurait pu, tout aussi bien, être l’œuvre d’un de ces joyeux moines paillards qui fourmillaient alors dans l’Église catholique...

          Gryphius aurait imprimé une édition du curieux “Glossaire sur l’ancien et le Nouveau Testament” d’Albert de Sibourg. Ce glossaire est aujourd’hui introuvable, sauf à l’état de manuscrit dans l’ex-bibliothèque impériale de Vienne. Une Bible également introuvable aujourd’hui fut imprimée à Lyon en 1542. C’est la version du dominicain Sanctès Pagnin, avec une préface et des Scholies, sous le nom de Michael Villanovanus, pseudonyme du fameux Michel Servet qui fut brûlé vif, à Genève, en 1553, sur les instances de Jean Calvin.

          Ce qui permit à l’abbé Pluquet d’écrire assez inconsidérément dans son “Dictionnaire des hérésies” cette phrase qui peut donner lieu à de singulières méditations : “Comment les magistrats de Genève, qui ne reconnaissaient point de juge infaillible du sens de l’Écriture, pouvaient-ils condamner au feu Servet, parce qu’il y trouvait un sens différent de Calvin ? Dès que chaque particulier est maître d’expliquer l’Écriture comme il lui plaît sans recourir à l’Église, c’est une grande injustice de condamner un homme qui ne veut pas déférer au jugement d’un enthousiaste, qui peut se tromper comme lui.” (3)

          Le XVIIème siècle fut aussi fertile en essais bibliques que le siècle précédent, personne n’arrivant, en dépit de ses lumières, à fixer le sens inaltérable de l’authenticité. Le bénédictin anglais John Jones publiait, en 1617, à Douai, une édition latine de la Vulgate qui “devait” faire autorité, avec la glose, des “postilles”, des observations, etc., et ses propres remarques et observations. Jean Buxtorf, célèbre professeur d’hébreu à Bâle, rédigea une “Biblia rabbanica” en 4 volumes in-fol. (1618 et 1619) Le Jésuite Georges Kaldi, bâtisseur du collège de Presbourg, publia une version de la Bible traduite en hongrois, en 1622.

          Les Elzévir ou plutôt Elzevier, célèbres imprimeurs d’Amsterdam et de Leyde, ont imprimé plusieurs ouvrages religieux qui passèrent pour des chef-d'œuvre de typographie, notamment le “Nouveau Testament” grec, en 1633. C’est aussi à Amsterdam que le célèbre rabbin Menasseh-Ben-Israël publia une Bible hébraïque, en 1635, édition fort belle, avec une préface latine. Jacques 1er, patriarche des Arméniens, fit imprimer en Hollande une version de la Bible en Arménien, version dont on ignore l’auteur, mais qui paraît plus ancienne (1666)

          C’est à Samuel des Marets (et à son fils aîné) qu’on doit l’édition de la Bible française, imprimée en grand papier, in-folio, en 1669, sous ce titre : “La sainte Bible française, édition nouvelle sur la version de Genève, avec les notes de la Bible flamande, celles de Jean Diodati et autres, etc., par les soins de Samuel et Henri des Marets, père et fils, Amsterdam, Elzévir, 1669, 5 vol.” Mais, dans son Histoire critique du Vieux Testament, page 359, Richard Simon écrit : “Des Marets cite des endroits qu’il n’est pas besoin de citer, et où il n’y a d’ordinaire aucune difficulté. S’il rapporte quelque chose qu’il ait pris de bons auteurs, il le gâte entièrement par ce qu’il y mêle. De plus son langage est un galimatias perpétuel...”

          En 1682, le fameux Louis-Issac Le Maistre, plus connu sous le nom de Sacy, décidait de s’atteler à une édition “définitive” de la Bible. Sa traduction, avec des explications du sens spirituel et littéral, tirées des Saints Pères, comporte 32 volumes in-8. C’est l'édition la plus estimée. L’auteur refit trois fois la traduction du Nouveau Testament, parce que la première fois le style lui parut trop recherché et la seconde trop simple. Mais on découvrit que l’auteur était attaché au parti de Jansénius. Il fut décidé que sa Bible ne devait être lue qu’avec précaution, parce qu’il laissait percer parfois la doctrine pernicieuse dans sa manière d’interpréter certains passages de l’Écriture qui pouvaient y avoir rapport. (4)

          Sacy fut enfermé pendant sept ans à la Bastille. L’abrégé de l’histoire de la Bible, avec des figures, publié sous le nom de Royaumont, qu’on lui attribue communément, serait dû à Nicolas Fontaine, qui avait été son compagnon de prison, et qui a fait son éloge dans les “Mémoires de Port Royal”. Guy Michel le Jay fit imprimer à ses frais une Bible Polyglotte en 10 volumes, avec la collaboration d’Abraham Ecchellensis, savant maronite qui collabora à la traduction de la Bible en arabe vers 1780.

          Le Jay ruina sa fortune en refusant de laisser paraître sa bible sous le nom du cardinal de Richelieu, jaloux de la réputation que le cardinal Ximenès s’était faite par un ouvrage de ce genre. De plus, Le Jay eut l’imprudence de mettre sa Polyglotte à un prix trop élevé; il refusa d’en laisser 600 exemplaires aux anglais qui n’offraient que la moitié de la somme qu’il exigeait. Ces derniers chargèrent alors Walthon de l’édition d’une Polyglotte moins coûteuse et firent tomber celle de Le Jay (Voir la “Bibliotheca sacra” du Père Le Long, tome I, p. 34) Celle-ci comportait, de plus que celle de Ximenès, le syriaque et l’arabe. Elle parut de 1628 à 1645. Devenu vieux et pauvre, son auteur fut doyen de Vézelay. Briand Walthon, évêque de Chester, s’est rendu célèbre par cette remarquable édition de la Bible en plusieurs langues, connue sous le nom de “Polyglotte d’Angleterre” (Londres 1657 et années suivantes, 6 vol. in-folio)

          Bien que plusieurs savants y aient travaillé avec lui, cet ouvrage comporte son nom et on y a introduit même son portrait. Outre le grand nombre de versions orientales contenues dans ce recueil, et qui étaient déjà dans la grande Bible de Le Jay, il y a au commencement des dissertations sur toutes ces Bibles; c’est ce qu’on appelle ordinairement les “Prolégomènes” de Walthon. On en a donné à Lyon une traduction libre et abrégée. Elle fourmille de fautes. On joint quelquefois à la Polyglotte de Walthon le “Lexicon heptaglotton” de Castell (1686, 2 vol. in-folio) Bien que les auteurs de cette Polyglotte aient fait preuve de beaucoup de science et de jugement, on leur reproche d’avoir donné trop d’importance à certaines versions de l’Écriture et trop peu à d’autres. “Il n’y a point d’unité dans le travail, parce que trop de mains y ont été employées” dit M. Contant de la Molette dans sa critique de la Polyglotte d’Angleterre, qu’il considère comme un fiasco.
          
          En 1689, le presbytérien anglais Matthieu Henri se lançait dans l’arène avec une “Exposition de la Bible” en 5 volumes, qui n’eut pas le succès espéré. Une Bible fit quelque temps sensation, ce fit la Bible hébraïque publiée en deux éditions (1661 et 1667) par le réputé imprimeur d’Amsterdam Joseph Athias. Elle lui valut une chaîne d’or et une médaille, décernées par les Etats-Généraux. Ces éditions étaient recherchées par les savants, avant celle d’Amsterdam (1705) La Bible d’Athias, conjointement avec celle d’Alcala et de Bamberg, a servi de base à l’édition de Reineccius, réimprimée en 1793 par les soins du savant Dorderlein. On lui découvrit des défauts majeurs...

          On s’enthousiasma pour le “Commentaire littéral sur tous les livres de l’ancien et du nouveau Testament” du bénédictin Dom Augustin Calmet qui ouvrait la marche dans un XVIIIème siècle toujours aussi féru de productions bibliques. Cet ouvrage qui devait apporter la plus resplendissante lumière, d’abord imprimé en 3 volumes in 4°, puis en 26 volumes, avait coûté près de dix ans de travail au pieux bénédictin, homme vraiment désintéressé à qui Benoît XIII avait offert en vain en évêché in partibus. On s’aperçut un peu tard que l’infatigable Don Calmet avait eu l’imprudence de rassembler “toutes les absurdités propres à affaiblir, à anéantir le respect dû aux livres saints, dit un auteur orthodoxe qui appela le Dictionnaire de la Bible de Don Calmet : “Le persiflage de l’Histoire sainte.“ Don Calmet a publié aussi un ouvrage extrêmement curieux par son incomparable naïveté, intitulé : “Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie” (Paris 1746 et Einsiedeln 1749)

          Le célèbre théologien Jean Mill (1645-1707) rédigea un Nouveau Testament dont la meilleure édition fut donnée par Kuster, à Amsterdam, en 1700. Il ne faut pas confondre cet auteur avec Abraham Mill qui écrivit : “De diluvii universalitate” (Genève 1667) Ce dernier affirme, avec beaucoup d’érudition, que non seulement le Déluge ne fut pas universel, mais qu’il s’agissait d’inondations qui se bornaient à la Judée et aux provinces voisines. Son livre fut accueilli par une vaste réprobation. Il est aujourd’hui introuvable. Nicolas Henri, professeur d’hébreu au collège royal a donné une édition, provisoirement estimée, de la Bible de Vatable, en deux volumes (Parus, 1729 et 1745), enrichie de notes de différents interprètes et contenant deux versions : l’ancienne, celle de la Vulgate, et la Nouvelle, celle de Pagnin.

          Vers 1715, J. F. Haug publia une Bible, à Berlebourg. Il eut comme collaborateur le saxon Jean-Christian Edelmann qui traduisit notamment quatre des Épîtres de saint Paul. Eldelmann publia ensuite un livre intitulé “Vérités innocentes”, dans lequel il cherche à prouver le peu d’importance de toutes les religions. Edelmann a écrit également “Moïse démasqué” (1740), “Christ et Bélial” (1741), “La Divinité de la Raison” (1742) Ces ouvrages étaient tous en allemand. Persécuté et contraint à ne plus écrire, l’auteur mourut dans la misère, à Berlin, en 1767, âgé de 69 ans.

           Le bénédictin Dom Pierre Sabbathier travailla à la bible pendant plus de vingt ans. Sa “Bibliorum sacrorum latinœ” fut terminée par Dom Vincent de la Rue, aidé par Dom Ballard d’Inville (Reims 1743). Elle fut dédiée à Mgr le duc d’Orléans qui en fit les frais; ce qui ne lui procura pas une destinées plus remarquable... L’imprimeur Laurent-Etienne Rondet publia sous le titre de “Sainte Bible” en latin et en français, avec des notes, des préfaces et des dissertations (Paris 1748-50), une version en 14 volumes, connue sous le nom de Bible de l’abbé de Vence. Une seconde édition en fut donnée en 1767-74, à Avignon, en 17 volume in 4°. Charles François Houbigant, prêtre de l’oratoire, a donné une édition très soignée de la Bible hébraïque, avec des notes et une version latine (Paris 1753, 4 vol.) On a reproché à l’auteur d’avoir corrigé le texte hébreu et de manquer de respect pour les anciennes versions, ce qui fut souvent le fait de la plupart des interprètes biblistes. “Aussitôt que le texte hébreu paraît difficile, dit l’abbé Contant de la Molette, le père Houbigant lui coupe la tête, bras et jambe; il en fait un tronc mort... il a porté l’audace jusqu’à corrompre le texte original dans une édition furtive qu’il a donnée du psautier  hébreu...”

          En 1777, Édouard Evanson, théologien anglais renommé, mais contestataire de l’Église anglicane même, fit quelque bruit en publiant une “Lettre sur les prophéties du Nouveau Testament”. Il publiait ensuite : “Dissonance des quatre Évangiles”. Il exclut du canon de l’Écriture les Évangiles de saint Matthieu, saint Marc et saint Jean, et n’admet comme authentique que celui de saint Luc, du moins dans sa plus grande partie. Ce théologien faisait partie des “enquirers” et secondait Priestley dans ses recherches sur les “corruptions du christianisme”. A peu près à la même époque, Joachim Ibarra, habile imprimeur espagnol, publiait une fort belle édition de la Bible. On lui doit aussi le missel mozarabe, le “Don Quixote”, et surtout le “Salluste espagnol”, petit in-folio qui fut très recherché. Ce livre a été vendu à Dijon en 1810, 2.000 francs. Ce qui constituait une somme importante à l’époque.

          Pierre van Hove, lecteur de l’ordre de saint François de Louvain termina la traduction de la Vulgate, en langue “belgique”, qui avait été entreprise par l’érudit Guillaume Smiths, vers 1760. Il mourut à Anvers en 1790 et son oeuvre assez platement exécutée ne lui survécut guerre. Jean-Auguste Dathe, célèbre professeur de langues orientales à Leipzig entreprit, en 1779, une nouvelle traduction latine des livres du Vieux Testament, qui fut regardée par les protestants comme la meilleure de toutes celles qui existent dans cette langue. Dathe travailla à cette traduction pendant 18 ans. Fortunat Durych, religieux barnabite, né en 1730 à Turnau, en Bohême, fut un des principaux collaborateurs de la dernière édition de la “Bible bohémienne”, publiée à Prague par les moines de son ordre. Il passe pour avoir accrédité des choses tenues pour “extravagantes”. Docteur en Sorbonne, le fameux Contant de la Molette, vicaire général du diocèse de Vienne, qui devait périr sur l’échafaud, à l’époque de la Terreur, en 1793, produisit une Nouvelle Bible polyglotte qui est devenue rare.

          Ce personnage qui avait critiqué caustiquement tous ses concurrents écrivit plusieurs ouvrages qui prétendaient tout expliquer, à savoir : une “Nouvelle méthode pour entrer dans le vrai sens de l’Écriture sainte” (1777), “La Genèse expliquée d’après les textes primitifs, avec des réponses aux difficultés des incrédules” (1777) Dans cet ouvrage, il s’était attaqué à Voltaire et il avait cru réfuter les malicieuses objections de ce dernier qui, rappelons-le, avait écrit “l’Optimisme” et une traduction libre de l’Ecclésiastique et d’une partie du Cantique des Cantiques qui furent brûlés par la main du bourreau. Avec, en plus, “l’Exode expliqué” (1780), “Les Psaumes expliqués” (1781), “Le Lévitique expliqué” (1785) Contant de la Molette affirmait, lui, qu’il ne restait plus rien d’obscur dans les Écritures sacrées.

          Ce ne fut point l’avis de ses confrères catholiques mêmes, lesquels prétendirent qu’il ne savait que médiocrement l’hébreu et qu’il avait puisé presque toute son érudition dans les Prolégomènes de la Polyglotte de Walthon, et ses principales réfutations dans les “Lettres de quelques juifs” de l’abbé Guénée. Une autre édition de la Bible eut pour principal rédacteur Joseph Simioli, professeur de théologie napolitain, qui fut, dit-on, pour quelque chose dans l’encyclique de Benoît XIV. Cette Bible comportait aussi des notes contre la “Bible expliquée” de Voltaire.

          Au XIXème et surtout dans la première moitié du XXème siècle, un certain ralentissement devait se manifester dans la fabrication des Bibles “authentiques” En 1802, Jean Jahn, savant hébraïsant et orientaliste allemand, chanoine de l’église métropolitaine de saint Etienne de Vienne, en Autriche, fit quelque bruit avec une édition de la Bible en langue hébraïque et une introduction à l’étude des livres de l’ancien Testament. Jean Jahn occupa successivement dans l’université de Vienne les chaires de professeur d’archéologie biblique, de théologie dogmatique et de langues orientales. Il fut contraint, en 1806, d’abandonner la place à cause de la hardiesse de ses opinions. Il passait pour un des auteurs de son époque les plus versés dans l’étude des “livres saints”, et ses travaux sur la Bible n’avaient rien de superficiel. Jahn soutenait, par exemple, que le Pentateuque n’est qu’une compilation d’anciens “monuments”, ce qui lui ôterait toute inspiration divine, que la fameuse tentation d’Ève eut lieu pendant son sommeil, et que toute cette histoire n’est qu’un songe qu’Ève à son réveil raconte à son mari, alors que certains textes de l’Écriture rapportent la chose comme ayant eu lieu réellement. Il affirmait aussi qu’en traitant de l’herméneutique de la Bible, on ne doit pas tenir compte de l’autorité de l’Église. Aucun catholique avant lui n’avait osé aller aussi loin, disent ses commentateurs.

          En 1825, fut imprimée la “Bible de Carrière” chez Rusand, à Lyon, avec un commentaire assez curieux du jésuite Monochius. L’abbé Duclot, qui fut successivement chanoine de Lautrec en Languedoc, curé de Colonge près de Genève et de Vins en Savoie, publia un ouvrage qui bénéficia d’une publicité peu justifiée par son contenu. Il était ainsi présenté : “La Sainte Bible vengée des attaques de l’incrédulité, et justifiée de tout reproche de contradiction avec la raison, avec les monuments de l’histoire, des sciences et des arts, avec la physique, la géologie, la chronologie, la géographie, l’astronomie, etc. (Lyon, 1816, 6 vol. in-8°) Le livre de l’abbé Duclot était bien ambitieux; il s’est surtout attaché à combattre Voltaire qui s’était montré impitoyable contre la Bible et les faits bizarres qu’elle rapporte. Sous le titre “d’observations préliminaires”, l’abbé Duclot s’en prend aux objections et aux difficultés, soit physiques soit  historiques, soulevées par les incrédules, contre l’authenticité des écrits de Moïse; il parle aussi de l’antiquité du monde, des systèmes géologiques; il fait allusion à “L’origine des cultes” de Dupuis, aux explications de Guérin du Rocher, et il s’égare imprudemment dans les chronologies chinoises et indiennes. On ne parle plus guère aujourd’hui de ce fameux ouvrage qui devait pulvériser à jamais les détracteurs de l’Écriture.

          Plus compétent fut Samuel Cahen, directeur de l’école consistoriale de Paris, fondateur des “Archives israélites de France” Samuel Cahen publia une traduction nouvelle de la Bible (1831-1850), avec l’hébreu en regard. Sa traduction n’en fut pas moins contestée. L’orientaliste J. B. Glaire, qui occupa la chaire d’écriture sainte à la Sorbonne, en 1843, rédigea “La sainte Bible en latin et en français” (1835) En 1837, le docteur Zung publia, en Allemagne : “Die 24 Bücher der heiligen Schrift” (Les 24 livres des Écritures) Le théologien protestant L. Segond fit paraître, à grand tapage, une Nouvelle version de la sainte Bible de 1876 à 1880.

          E. Reuss, professeur à la Faculté de Théologie de Strasbourg, publia sa version “authentique” en 1881, alors qu’il y travaillait depuis sept ans. Il fut sévèrement jugé parce qu’il avait qualifié l’histoire de Jonas et de la baleine de “conte moral” (Philosophie morale et religieuse des Hébreux, 1878) (5) L’orientaliste allemand, L. Philipson publia sa Bible, sous le titre : “Die heilige Schrift der Israéliten” (Les Livres sacrés des Israélites) en 1874. C’est en vain que le fougueux chanoine Crampon laissa derrière lui la documentation d’une sainte Bible “traduite d’après les textes rigoureusement originaux”, le succès ne répondit pas à ses espérances. Le chanoine Crampon avait déjà obtenu un assez maigre succès avec sa traduction des Évangiles qui avait été faite, en 1864, pour répondre à Renan.

          Comme nous le disons plus haut, la première moitié du XXème siècle aura été plutôt pauvre en travaux sur la Bible. A part la fameuse “Bible du Centenaire” qui s’inséra peu bruyamment dans la production hétérodoxe de l’époque, il n’y eut guère d’essais valables. Mais, dans cette seconde moitié du siècle, on s’est remis à l’œuvre. En 1956, deux nouvelles éditions françaises de la Bible ont vu le jour : celle de l’École Biblique de Jérusalem (Paris, éditions du Cerf) et celle d’Édouard Dhorme, dominicain qui fut directeur de la Revue Biblique (Paris, éditions Gallimard) Plusieurs épiques sont actuellement au travail; aussi ardemment ¾ et tout aussi vainement ¾ que les chercheurs qui s’acharnaient jadis à découvrir la pierre philosophale, de chaleureux optimistes s’efforcent encore de redonner vie aux cendres éteintes et prétendent découvrir des clartés dans les “gouffres d’ombre” de certains textes bibliques. Les éditeurs ont déjà mené grand bruit sur ces grandes vérités qui nous sont promises. A les entendre, les nouveaux interprètes sont absolument sûrs de trouver ce que des centaines d’érudits, passionnés et hommes de foi, n’ont pu découvrir en plus de vingt siècles, dans cet extraordinaire bric-à-brac : une simple étincelle de divinité !

LES HERESIES

          Si dans cet essai limité nous avons cité un certain nombre “d’auteurs sacrés” qui ont laborieusement travaillé la matière, et qui ont cru y trouver “la main de la divinité”, nous en avons omis, volontairement, un nombre autrement important qui n’ont pas dépensé moins de zèle en des “fouilles” auxquelles ils consacraient souvent la totalité de leur existence. J’ai connu autrefois un érudit appelé Gottlieb Jahn, qui habitait Krefeld, et qui disait être un descendant de la famille de Jean Jahn, savant hébraïsant, auteur d’une Bible hébraïque, que je cite plus haut. Gottlieb Jahn affirmait qu’il avait recensé près de vingt cinq mille écrits publiés en quelques siècles sur la Bible.

          Certains de ces écrits n’étaient, selon lui, aucunement dépourvus de bon sens, tandis que d’autres semblaient sortis du cerveau de personnages atteints manifestement de “troubles mentaux”. Le plus étonnant, concluait-il, c’est de constater que ce sont justement ces derniers écrits qui passent encore pour des manifestations de l’esprit divin. Quels qu’il fussent, les chercheurs, comme les fameux hôtes de l’auberge espagnole, n’ont jamais trouvé là autre chose que ce qu’ils y apportaient : une foi absolue et une crédulité qui les poussait fortement dans la “bonne voie”. Cependant on reste stupéfait quand on passe en revue l’extrême variété des opinions qui ont été émises à propos des Écritures., les querelles féroces, impitoyables, qu’elles ont provoquées. Et l’on est bien obligé de constater que ce ne fut pas la raison, ni quelque subtilité spirituelle supérieure, qui ont permis de trancher entre hérétiques et prétendus détenteurs de la pure foi, mais la force, le recours au bras séculier.

          Le premier hérésiarque né en Gaule est Vigilantius, originaire du pays de Comminges. Il s’élevait contre le célibat des prêtres, les jeûnes, les veilles, la profession monastique et les aumônes envoyées à Jérusalem. Il attaquait aussi les pèlerinages et le culte des reliques, qu’il qualifiait d’idolâtrie. A l’hérésie de Vigilantius succéda le Pélagianisme, qui eut un immense retentissement. Pélage était un moine qui voyait dans la doctrine de saint Augustin une tendance au fatalisme. Il s’élevait contre elle. En 415, au concile de Jérusalem, il fut déclaré dans la bonne voie, en 431, au concile général d’Éphèse, il fut condamné... Mais, comme saint Augustin avait pour adversaire les “esprits les plus éclairés” de l’époque, entre autres Faustus de Riez, Vincent de Lérins,  Gennadius de Marseille, Hilaire d’Arles, Arnobe le Jeune, et même Sulpice Sévère, le concile d’Orange, en 529, condamna aussi certaines doctrines de saint Augustin, sans toutefois nommer le célèbre “docteur”.

          Au Vème siècle et au VIème siècle, l’Eutychéisme et le Nestorianisme provoquèrent, pendant longtemps, des troubles, mais surtout dans l’Église d’Orient. Le règne de Charlemagne, ce grand protecteur de l’Église, fut occupé par plusieurs querelles religieuses. Il soutint lui-même contre l’Église de Constantinople, une polémique assez vive au sujet du culte des images. Sur cette question, l’Empereur et le pape se trouvèrent complètement en désaccord; mais les intérêts de l’Église exigeaient que la puissance franque fut ménagée, et il n’en sortit aucun schisme. Une autre querelle qui eut plus d’importance fut celle de l’adoptianisme qui avait pour chef Élipand, évêque de Tolède, et était fondé sur cette idée que Jésus, fils de Joseph et de Marie, avait été adopté par Dieu. Félix, évêque d’Urgel, l’introduisit dans les provinces méridionales de la Gaule; il fut condamné par cinq conciles successifs, dépossédé de l’épiscopat, relégué à Lyon par Charlemagne, soumis à diverses pressions pour qu’il consente à abjurer son “erreur”. “Félix d’Urgel passa sa vie, dit l’abbé Bergier, dans une alternative continuelle d’abjurations et de rechutes et la termina dans l’hérésie.” Il avait compris les “Écritures” à sa manière qui n’était pas conforme aux décisions des dirigeants de l’Église.

          Après la mort de Charlemagne, on vit renaître dans l’Empire franc la grande querelle du culte des images. Au concile de Paris, en 825, Louis le Débonnaire, fils de Charlemagne, reprenait le point de vue iconoclaste de son père et des querelles interminables s’ensuivirent. En 829, une autre iconoclaste nommé Claude, évêque de Turin, répandait des opinion se rapprochant, sur un grand nombre de points, des doctrines prêchées par la Réforme au XVème siècle, et il démontrait, Évangiles à l’appui, que la divine vérité était de son côté. La querelle de la Prédestination, assoupie pendant deux siècles, recommença avec une nouvelle force avec le fameux bénédictin Gottschalk, appelé aussi Fulgence. Anathématisé dans un concile, en 849, à Quercy sur Oise, Gottschalk fut dégradé du sacerdoce et fouetté publiquement devant Charles le Chauve, puis emprisonné dans l’abbaye d’Hautvillers. Rien ne put le changer.

          Il écrivit deux confessions de foi, appuyées sur les Écritures, pour soutenir sa doctrine. Il offrait aussi de la prouver ¾ selon un procédé conforme à certaines vues de l’époque ¾ en passant de suite par quatre tonneaux plein d’eau, d’huile ou de poix bouillante ou même au travers d’un grand feu. On appela son opiniâtreté du fanatisme et on le laissa en prison. Il y mourut 19 ans plus tard. Ussérius a donné son histoire, à Dublin en 1631. C’est le premier livre latin imprimé en Irlande. L’histoire du bénédictin Gottschalk offrant de subir le supplice pour prouver sa croyance fait penser à ce chapitre des “Ruines” de Volney où nous pouvons lire :
 
“Et l’un des partis ayant nié les martyrs des autres : eh bien ! dirent-ils, nous allons mourir pour prouver que notre croyance est vraie.
“Et dans l’instant une foule d’hommes de toutes religions, de toutes sectes, se présentèrent pour souffrir des tourments et la mort. Plusieurs même commencèrent de se déchirer le bras, de sa frapper la tête et la poitrine, sans témoigner de douleur.
“Mais le législateur les arrêtant : Ô hommes ! leur dit-il, écoutez de sang froid mes paroles : si vous mouriez pour prouver que deux et deux font quatre, cela les ferait-il davantage quatre ?
“Non, répondirent-ils tous.
“Et si vous mouriez pour prouver qu’ils font cinq, cela les ferait-il être cinq ?
“Non, dirent-ils tous encore.
“Eh bien ! que prouve donc votre persuasion, si elle ne change rien à l’existence des choses ? La vérité est une, vos opinions sont diverses; donc plusieurs de vous se trompent. Si, comme il est évident, ils sont persuadés de l’erreur, que prouve la persuasion de l’homme ?
“Si l’erreur a ses martyrs, où est le cachet de la vérité ?...
“Ô mortels crédules, et pourtant opiniâtres ! nul de nous n’est certain de ce qui s’est passé hier, de ce qui se passe aujourd’hui sous ses yeux, et nous jurons de ce qui s’est passé il y a deux mille ans. !”

          Pour en revenir à l’hérésie, nous signalerons l’œuvre de ce bénédictin, Paschase-Ratbert, qui écrivit, vers 831, un “Traité du corps et du sang du Seigneur” dans lequel il disait “que le corps de Jésus Christ est réellement dans l’Eucharistie le même qui est né de la Vierge, qui a été crucifié, qui est ressuscité et qui est monté au ciel.” Ratramne, un moine de l’abbaye de Corbie, réfuta cette assertion en déclarant qu’il s’agissait en réalité de “figures”... Et Mabillon, dans sa préface au “XIVème siècle des Bénédictins” a dit grand bien de l’ouvrage obscur de Ratramne. Le fameux Jean Scott, dit Érigène, qui avait écrit à peu près la même chose contre le livre de Paschase-Ratbert fut traité différemment. Son ouvrage fut proscrit par plusieurs conciles, et condamné au feu par le concile de Rome en 1059. Le plus curieux c’est que Paschase-Ratbert, et on ne sait au juste pourquoi, a laissé son nom dans le “Martyrologe” gallican et dans celui des bénédictins !

          “Le IXème siècle fut une période de mort pour l’intelligence” écrit Ph. Le Bas, de l’Institut, aussi aucune hérésie n’y apparut; mais au siècle suivant, avec la renaissance des études scolastiques, se manifesta dans les masses un mouvement intellectuel, empreint de grande hardiesse. On ne vit pas seulement des docteurs et des hommes hauts placés dans l’Église émettre des opinions contraires à l’orthodoxie, mais des hommes du peuple, de simples prêtres, essayèrent des réformes qui ne tendaient à rien moins qu’à renverser toutes les traditions de l’Église. La première tentative sérieuse eut lieu en Champagne. “Sur la fin de l’an mille, dit Raoul Glaber, il s’éleva, auprès du bourg des vertus, canton de Chalons, un homme du peuple nommé Leutard, que l’on pouvait prendre pour un envoyé de Satan... Il enseignait que c’était une chose tout à fait vaine et superflue de payer la dîme... Leutard reconnaissait aussi que les prophètes avaient dit de bonnes choses, mais il prétendait qu’il ne fallait pas les croire en tout. Enfin, la réputation qu’il avait usurpée d’homme sage et religieux, lui fit de nombreux prosélytes... Alors qu’il était suivi d’une multitude innombrable qui le croyait inspiré de Dieu, il trouva une fin mystérieuse qui a été trop facilement expliquée.”

          Peu de temps après, Leuthéric, évêque de Sens,  fut accusé d’une hérésie sur la participation de l’eucharistie, mais on ignore qu’elles en furent les conséquences. Le dogme de la “présence réelle” devint dès cette époque l’objet d’ardentes disputes. Fulbert, évêque de Chartres, commença, vers l’an 1007, à enseigner que la croyance à la transsubstantiation était nécessaire pour le salut; ce fut exactement le contraire de cette doctrine que diffusa quelques années plus tard le célèbre Bérenger, qui suivait alors ses leçons. Archidiacre d’Angers, Bérenger enseignait une hérésie touchant à la présence réelle dans l’Eucharistie. Il comptait parmi ces adeptes Brunon, évêque d’Angers.

          Henri 1er, roi de France, se joignit au pape et fit condamner l’hérésiarque dans un concile tenu à Paris en 1050. Nicolas II assembla à Rome, en 1059, un concile qui, sous la menace, exigea de Bérenger une abjuration, et une profession de foi fut dressée, dans laquelle il reconnaissait que “le pain et le vin, après la consécration, étaient le vrai corps et le vrai sang de J. C.” Il fut contraint de brûler ses écrits, mais à peine fut-il hors du concile qu’il écrivit contre la formule de foi qui lui avait été arrachée et il accabla d’insultes le cardinal Humbert qui l’avait rédigée... Il fut encore amené à rétractation dans plusieurs conciles, notamment celui de Poitiers, où il manqua d’être tué... On prétendit qu’il était mort “repentant”, en 1088, mais rien n’est moins sûr que cette fin édifiante. Dans son “Histoire ecclésiastique du Xème siècle”, Mosheim dit que Bérenger était renommé pour son savoir et pour la sainteté exemplaire de ses mœurs.

          En 1022, la ville d’Orléans devint le foyer d’une hérésie célèbre dans l’histoire, car ce fut la première fois que, dans nos contrées, on infligea la peine de mort à des dissidents de l’Église catholique. Le pieux Raoul Glaber explique ainsi l’affaire : “Ce fut, dit-on, une femme venue d’Italie qui apporta dans les Gaules cette infâme doctrine. Pleine des artifices du démon, elle savait séduire tous les esprits, non seulement ceux des idiots et des simples, mais la plupart même des clercs les plus renommés par leur savoir. Elle vint à Orléans, et le court séjour qu’elle y voulut faire lui suffit pour infecter plusieurs chrétiens. Bientôt ses prosélytes firent tous leurs efforts pour propager cette semence du mal. Il faut tout de même l’avouer, ô douleur ! Les hommes les plus distingués du clergé de la ville, également fameux par leur naissance et leur science. Le pieux Richard, comte de Rouen, informé du complot, envoya en toute hâte vers le roi, et lui dévoila cette contagion secrète... Le roi et les pontifes firent subir aux accusés un interrogatoire secret, par égard pour la probité et l’innocence des mœurs dont ils avaient toujours donné l’exemple jusqu’alors...

          Après avoir épuisé tous les moyens de persuasion pour les engager à abjurer leur “erreur”, on leur déclara que, s’ils ne retournaient promptement à la foi qu’ils avaient trahie, ils allaient être livrés aux flammes... Le roi et tous les assistants voyant que la folie de ces misérables était sans remède, firent allumer, non loin de la ville, un grand feu, espérant qu’à cette vue, la crainte triompherait peut-être de leur endurcissement, mais il fallut les mener au supplice; poussés par une incroyable démence, ils s’écrièrent que c’étaient ce qu’ils demandaient, et se présentèrent d’eux-mêmes à ce qui étaient chargés de les traîner au bûcher... tous ceux qui furent convaincus ensuite de partager cette erreur subirent la même peine (Chroniques de Raoul Glabre, Liv. 4, ch. VIII)

           Les sectaires d’Orléans s’appuyaient, eux aussi, sur les Écritures, dans lesquelles ils avaient trouvé la confirmation claire de leur doctrine. Ils n’admettaient point que Dieu se fût dégradé au point de se faire homme. Ils considéraient aussi comme une idolâtrie grossière le culte des images et l’adoration des martyrs et des confesseurs. Roscelin de Compiègne, qui fut un des “docteurs” les plus renommés de son temps, prétendait que le mystère de la Trinité impliquait une absurdité et que le fils n’avait pu se faire homme lui seul, à cause de l’unité d’essence des trois personnes divines. Il fut condamné au concile de Soissons, en 1092. Cependant les Bénédictins auteurs de “l’histoire littéraire de France” (t. 9) semblent croire qu’il mourut vers 1107 chanoine de Saint-Martin de Tours.

          Le XIIème siècle vit naître des hérésies fameuses. D’abord celle des “Pétrobusiens”, ainsi nommés de leur chef Pierre de Bruys. Ce dernier soutenait que le baptême ne devait pas avoir lieu avant l’âge de puberté, que le sacrifice de la messe n’était rien; que les prières des morts valaient encore moins, etc. Il aurait été arrêté et brûlé dans la ville de St Gilles (Gard) en 1147. Il eut pour successeur un moine nommé Henri... Il était grand et mal habillé, il marchait tête et pieds nus, même dans la plus grande rigueur de l’hiver... On courut en foule à ses sermons, et le clergé conseillait au peuple d’y aller. Henri prêchait contre la dissolution des mœurs. “Ses sermons eurent un effet que l’on n’attendait pas”, dit le Dictionnaire des hérétiques. Le peuple entra en fureur contre le clergé et traita durement les prêtres, les chanoines et les clercs.

          On refusait de rien vendre à leurs domestiques, on voulait abattre leurs maisons, piller leurs biens ou les lapider ou les pendre. Quelques-uns furent traînés dans la boue et battus cruellement... Le pape Eugène III envoya, en 1147, un légat dans ces provinces, Henri fut arrêté et enfermé dans les prisons de l’archevêché de Toulouse, où il mourut.Mais vint le Tanchelinisme, professé surtout dans les Pays-Bas, par le moine Tanchelin, qui proclamait que les églises étaient des lieux de prostitution, les sacrements des profanations, et défendait de payer les dîmes abusives qui étaient exigées. Tanchelin qui avait obtenu un succès prodigieux, tout comme le fameux Jean de Leyden, fut assassiné par ses adversaires. Ses doctrines subsistèrent longtemps, non seulement au Pays-Bas, mais à Avignon et à Noyon.

          A cette secte succédèrent les Paterins de Cathares, qui portaient un exigeant esprit de réforme aussi bien sur la morale que sur le dogme. Ceux qui ont étudié cette “hérésie” sont obligés de convenir qu’elle dominait de très haut une église effroyablement  corrompue mais consolidée par ses alliances avec le glaive. Après eux, il y eut les Albigeois, dont la doctrine se rapprochait de celle des Manichéens; et les Pifres, secte d’Albigeois composée en grande partie de tisserands, et répandue principalement en Picardie et dans les Pays-Bas. Le concile de Reims, tenu en 1157, ordonna de les mettre en prison et de les marquer au fer rouge.

          Enfin naquit l’hérésie des “Humiliés” ou pauvres de Lyon, vers 1160. Son animateur, Pierre Valdo, prêchait la pauvreté volontaire, et il introduisait une nouveauté qui souleva tout le clergé contre lui, tandis qu’il attirait en foule les populations : il expliquait le “Nouveau Testament” en langue vulgaire. Détruits dans tout le reste de l’Europe, les Vaudois parvinrent à se maintenir dans les trois vallées du Piémont où ils s’étaient d’abord établis; quand le roi de Sardaigne, par une ordonnance du 10 janvier 1824, leur accorda le droit de bâtir un hôpital pour leurs pauvres malades, et de le faire desservir par un médecin et un chirurgien de leur croyance, ils étaient encore au nombre de 20.OOO. Nous ignorons ce qui en subsiste aujourd’hui.

          “Toutes ces sectes, dit M. Sismondi (histoire des Français, t. VI p. 254) s’accordaient pour regarder l’Église romaine comme ayant absolument dénaturé le christianisme, et pour prétendre que c’était elle qui était désignée dans “l’Apocalypse” sous le nom de “prostituée de Babylone”. D’autres, au contraire... attribuaient au principe du mal l’ancien Testament, car on y représentaient, disaient-ils, un Dieu homicide qui avait détruit la race humaine par le déluge, Sodome et Gomorrhe par le feu, et les Égyptiens par l’inondation de la mer Rouge... Leurs docteurs ou leurs prêtres se contentaient d’un habit noir, au lieu de la pompe des vêtements du clergé catholique; après avoir fait abjurer l’idolâtrie aux prosélytes, ils les recevaient dans leurs églises par l’imposition des mains et le baiser de paix.

          “Tandis qu’on cherchait à noircir leur réputation , en les accusant de permettre dans leurs enseignements, les mœurs les plus déréglées, et de se livrer en secret à tous les désordres, on convenait qu’en apparence ils observaient une chasteté sans reproche; que dans leur abstinence de toute nourriture, leur rigorisme passait celui des ordres de moines les plus sévères; que dans leur respect pour la vérité, ils n’admettaient aucune excuse pour le mensonge; que leur charité, enfin, les préparait toujours à se dévouer pour les autres. Quelques poésies des Vaudois, écrites dès le XIIème siècle et publiées tout récemment, confirment cette ressemblance entre la doctrine et la discipline des réformateurs à ces deux époques.”

          Au XIIIème siècle, un grand nombre d’hérésies virent le jour et furent condamnées par les papes, les évêques, les conciles, les Universités, les généraux ou les chapitres d’ordres monastiques; car toutes ces autorités prétendaient prononcer en toute infaillibilité en cette matière. C’est ainsi qu’on condamna et qu’on brûla, à Paris, 1210, les prétendus hérétiques qui soutenaient que le règne du Père et du Fils était passé, que le règne du Saint-Esprit, annoncé par les Écritures allait commencer, que la confession, le baptême et les autres sacrements étaient nuls. Leur chef, clerc du diocèse de Chartres, qui enseigna la philosophie, affirmait que le paradis; l’enfer et la résurrection des corps n’étaient que des rêves. Plusieurs de ses disciples, condamnés dans un concile de Paris en 1209, furent brûlés vifs, et l’on déterra le corps d’Amauri pour le jeter à la voirie.
          Le  XIIIème siècle fut aussi parqué par l’insurrection des Pastoureaux qui éclata en Flandres et se répandit sur une grande partie de la France. Les prêcheurs déclamaient contre la paresse et la corruption du clergé, sujet agréable aux oreilles du peule qui, depuis longtemps, laissait entendre les mêmes plaintes. L’Eglise réagit selon son habitude et les Pastoureaux furent passés au fil de l’épée... Il ne faut pas confondre cette insurrection des pastoureaux avec une insurrection du même genre qui éclata soixante-dix ans plus tard, et dont les insurgés prirent aussi le nom de pastoureaux; ceux-là signalèrent leur courte carrière par un massacre général des juifs (Halam, L’Europe au moyen âge, t. IV, p. 123) C’est à cette époque que le poète Guyot de Provins produisit son amère satire, intitulée Bible, suivant l’usage de son époque. L’auteur avait pris l’habit des Bénédictins de Cluny. “Ces bons frères, dit-il

Ils me promistrent sans mentir
Que qant je voldrois dormir
Que il me convenroit veillier
Et qant je voldroie mengier
Qu’il me feroient geuner...etc

          Guyot de Provins qualifie de “puant et horrible” ce XIIIème siècle, le siècle des croisades. Il nous le représente souillé par l’ignorance, le fanatisme, la simonie, le charlatanisme... Tour à tout il nous dépeint les légistes avides et déloyaux, les médecins, physiciens qui

Ne voldroient ja trover
Nul homme sans aucun mehaing (maladie)
Maint oignement font et maint baing
Ou il na ne sens ne raison, etc...

          S’adressant à ses contemporains, il leur prêche la seule croisade utile : une croisade contre la papauté; puis il flagelle les prélats riches et orgueilleux, les curés, les chanoines qui se donnent par anticipation le paradis ici-bas, les moines, dont il dit :

Uns moines puet s’offrir grant painne,
Trop puet lire, trop puet chanter,
Et travailler et geuner,
Mais s’il n’a charité en soi
Molt li valt pou, si comm je croi.

          Mais c’est surtout le clergé de Rome qui excite sa bile :

Rome nos suce et nos englot,
Rome destruit


18/05/2008
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres